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Chat échaudé craint l’eau froide

Sens

De nos jours, le proverbe signifie souvent simplement que les mésaventures servent de leçon, qu’elles entraînent prudence et méfiance.

Mais son sens initial était : une expérience douloureuse engendre une grande méfiance, elle fait même craindre ce qui n’a que l’apparence d’un danger similaire.

Ce sens s’est un peu perdu car on ne connaît plus bien la pratique moyenâgeuse de l’échaudage, qui consistait à plonger les animaux dans l’eau bouillante (dans l’échaudoir) pour les dépouiller.

On ne comprend donc pas toujours l’importance du traumatisme… Mais on saisit bien mieux pourquoi un rescapé de l’échaudoir se méfie de l’eau, même froide !

Origine

Le proverbe trouve une de ses premières expressions dans le Roman de Renard (fin du XIIe - début du XIIIe siècle), recueil de récits dont les auteurs sont souvent anonymes, et les héros des animaux agissant comme les humains. On l’y trouve sous la forme eschaudez eve crient, « l’échaudé craint l’eau ».

Elle est relevée dans Altfranzösisches Wörterbuch, grand dictionnaire d’ancien français d’Adolf Tobler (1925–2002). Il y date le texte aux alentours de 1180.

L’auteur du Roman de la rose, Guillaume de Lorris (vers 1200-1238), l’utilise en lui ôtant un peu de sa richesse : eschaudé doit chaleur doubter (l’échaudé doit redouter la chaleur).

Au XIIIe siècle, le proverbe court sous sa forme chat eschaudez iaue creint, « chat échaudé craint l’eau ». Il est répertorié ainsi en 1661 dans le dictionnaire franco-anglais de Cotgrave.

Mais, dès 1584, on approche de très près la formule actuelle : « Le chat une fois eschaudé craint l’eau froide ». Elle est enregistrée en 1611.

Cela n’empêche pas le proverbe de continuer à prendre des formes multiples, jusqu’au XXe siècle. Est-ce à cause de ce que ce proverbe contient d’horrible ?

Chat échaudé craint l’eau froide semble en tout cas avoir particulièrement inspiré le génie proverbial. L’échaudé n’a pas toujours été un chat… Le nombre de versions répétorié est si grand qu’il en devient comique.

Voir 43 variantes de ce proverbe !

NB :
Iaue, eve, eaue, eue, ewe, aue et vaue = eau ;
Crient, crent, creint et crain = craint ;
Eschaudez, eschaudé et eschauldé = échaudé.

Eschaudez iaue crient (1180)

Echaudés eve crent (fin du XIIe s.)

Eschaudez est, chaude iaue crient (1231)

Chat eschaudez iaue creint (XIIIe s.)

Eschaudez d’eaue chaude crient (XIIIe s.)

Chaz eschaudez chaude eaue crient (XIIIe s.)

Eschaudez eaue creint (XIIIe s.)

Eschaudez eue crient (XIIIe s.)

Escaude eve crent (XIIIe s. dans le Roman de Renart)

Eschaudé ewe chaude crient (XIIIe s.)

Eschaudez doit eve doter (1277, l’échaudé doit redouter l’eau)

Eschaudé eve chade crient (1279, « chade » = chat)

Eschaudez eve creint (fin du XIIIe s.)

Eschaudé eaue chaude craint (1317)

Eschaudez chaude yaue crient (1317)

Eschaudé ewe creint (milieu du XIVe s.)

Eschauldés craint eaue chauffée (1370)

Eschaudés par droit va le feu redoubtant (1384, l’échaudé par droit redoute le feu)

Caz eschaudez craint eaue jour et nuit (1407, chat échaudé craint l’eau jour et nuit)

Eschaudez yaue craint (1407)

Eschaudés craint eaue jour et nuit (après 1407)

Chaude yaue craint cilz qui a esté ars (après 1407, il craint l’eau, celui qui a été brulé)

Chat eschauldé resoigne la chauldiere (1522, chat échaudé redoute la chaudière)

Le chien eschauldé de aue chaulde a peur de la froide (1562, chat écaudé par l’eau chaude a peur de la froide)

Eschaudé doibt chaleur craindre (1568)

Chien une fois eschaud /D’eau froide est intimidé (1578, eschaud = échaudé)

Le chat une fois eschaudé craint l’eau froide (1584)

Chien échaudé l’eau froide creint (1597)

Chien eschaudé craint l’eau froide (1611)

Chat eschaudé craint l’eau froide (1611)

Le chien eschaudé de l’eau chaulde a peur de la froide (1612)

Chien eschaudé crain l’eau froide (1617)

Un chat échaudé craint l’eau froide (1618)

Chat échaudé craint l’eau froide (1633)

Chien échaudé craint la cuisine (1652)

Chien eschaudé ne revient plus en cuisine (1690)

Chat échaudé craint la cuisine (1690)

Chien échaudé ne revient plus en cuisine (1710)

Chien échaudé ne revient pas en cuisine (1808)

Chat échaudé ne revient pas en cuisine (1842)

Chien échaudé craint l’eau froide (1872)

Chat échaudé craint même l’eau froide (1892)

Chat échaudé craint l’eau chaude (1924)

Proverbes dans le même sens

  • Qui a fait naufrage redoute la mer, même calme.
  • Méfiance est mère de sûreté.

Le même proverbe ailleurs

  • Chien échaudé a peur de l’eau tiède. (Breton)
  • Celui qui a fait naufrage tremble devant les flots tranquilles. (Latin)
  • Le chien qui a léché des cendres ne se fie plus à la farine. (Italien)
  • Un enfant qui a été brûlé craint le feu. (Anglais et allemand et danois)
  • Qui s’est brûlé la langue n’oublie plus de souffler sur la soupe ;
  • Chiens arrosés craignent l’eau. (Allemands)
  • La corneille effrayée craint le buisson ;
  • Celui qui a vu un serpent noir, a peur d’un bâton noir. (Russes)
  • Qui s’est brûlé avec la purée souffle même sur le caillé. (Grec)
  • La vieille a été brûlée par la bouillie, elle souffle aussi sur le lait caillé. (Albanais)
  • Celui qui a été mordu par les serpents craint aussi les lézards. (Serbo-croate)
  • Qui s’est brûlé avec du lait, souffle sur la crème glacée. (Turc)
  • Celui qui a été mordu par un serpent redoute la vue d’une corde. (Kurde)
  • Le chat mordu par un serpent craint même une corde ;
  • Qui a été mordu par un serpent, se méfie des cordes. (Arabes)
  • Qui s’est brûlé avec du lait, souffle sur le petit lait ;
  • Qui a été mordu par un serpent craint la corde noire ou blanche. (Persans)
  • Qui s’est brûlé une fois soufflera sur l’eau froide. (Bachkir)
  • Chien qui s’est brûlé le nez ne flaire pas les cendres ;
  • Quand on a été mordu par un serpent, on fuit même le mille-pattes. (Africains)
  • Qui a été brûlé par un tison s’enfuit à la vue d’une luciole. (Indien)
  • Une fois mordu par un serpent, on craint les cordes pour toujours. (Chinois)
  • Le taureau qui a souffert du soleil tremble à la vue de la lune. (Coréen)
  • Un soldat battu craint un roseau. (Japonais)
  • Qui fut mordu d’un serpent s’effraie d’une corde. (Juif)

En savoir plus sur ses nombreuses versions du proverbe

Les images employées correspondent bien sûr à l’environnement naturel spécifique de chaque pays (et le latin passe par la navigation, importante dans sa culture).

Les Anglais, les danois et les Allemands, plus pragmatiques, n’ont pas poussé la méfiance à un extrême absurde.

Le mille-pattes constitue peut-être la plus drôle des images du ridicule.

Proverbes à l’inverse

  • Trop de précautions nuit. (1778)
  • On est plus souvent dupé par la défiance que la confiance.

Proverbes sur le même thème

  • Méfie-toi de l’eau qui dort. (Français)
  • Méfies-toi de la rivière qui est trop calme. (Berbère)
  • De tout homme inconnu, le sage se méfie. (Français)
  • À nouvel ami et vieille maison, ne pas se fier plus que de raison. (Allemand)

Et côté films ? 

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