Celui qui pense tromper ou piéger quelqu’un peut être victime de ses propres manigances ; celui qui agit par ruse peut tomber sur plus rusé que lui.
Ce proverbe est la dernière phrase de la morale de la fable Le rat et l’huître, neuvième fable du livre VIII de Jean de La Fontaine (1621-1695), édité pour la première fois en 1678.
L’auteur s’y moque de l’ignorant bavard et prétentieux, comme souvent. Sinon, l’histoire n’est pas plus proche que cela du proverbe.
Lire la fable Le rat et l’huître
Un Rat hôte d’un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu’il fut hors de la case,
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase :
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétys sur la rive
Avait laissé mainte Huître ; et notre Rat d’abord
Crut voir en les voyant des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire :
Il n’osait voyager, craintif au dernier point :
Pour moi, j’ai déjà vu le maritime empire :
J’ai passé les déserts, mais nous n’y bûmes point.
D’un certain magister le Rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs ;
N’étant pas de ces Rats qui les livres rongeants
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d’Huîtres toutes closes,
Une s’était ouverte, et bâillant au Soleil,
Par un doux Zéphir réjouie,
Humait l’air, respirait, était épanouie,
Blanche, grasse, et d’un goût, à la voir, nonpareil.
D’aussi loin que le Rat voir cette Huître qui bâille :
Qu’aperçois-je ? dit-il, c’est quelque victuaille ;
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’hui bonne chère, ou jamais.
Là-dessus maître Rat plein de belle espérance,
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs ; car l’Huître tout d’un coup
Se referme, et voilà ce que fait l’ignorance.
Cette Fable contient plus d’un enseignement.
Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d’étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyait prendre.
Pour une fois, La Fontaine ne semble pas s’inspirer d’Ésope (VIIe – VIe av. J.-C.). Il n’y a en effet aucune trace d’un rat associé à une huître dans l’œuvre de l’auteur.
En revanche, Emblèmes, ouvrage d’André Alciat (écrivain italien) publié en 1674, contient une courte fable qui les met en scène. Et elle propose une chute qui illustre plutôt mieux le proverbe que la fable de la Fontaine.
Le captif pour sa gourmandise
Le Rat régnant au cellier, rongeant tout
Vit des huîtres ouvertes par un bout.
Il y mit sa barbe : et de faux os attrape,
Qui, touchés, font tomber la trappe,
Et le larron en prison ont tenu
Qui par lui-même dans la fosse est venu.
Traduction de Corine Brunet du texte original :
Le Rat regnant au cellier, rongeant tout,
Des huystres vit baillantes par un bout :
Sa barbe y mit :& faux os il attrape,
Lesquelz touchez feirent tomber la trappe,
Et le larron en prison ont tenu,
Qui par soi mesme en la fosse est venu.
Enfin, la fable de la Fontaine La Grenouille et le Rat est éditée antérieurement, en 1668. Elle commence par « Tel, comme dit Merlin, cuide (croit) engeigner (tromper) autrui, Qui souvent s’engeigne soi-même. »
La parenté avec le proverbe est évidente et le lien avec Merlin l’enchanteur intéressant. Il donne au proverbe une dimension supplémentaire : plus le stratagème inventé pour piéger l’autre serait complexe, plus il ferait prendre de risque à celui qui a inventé le piège.
La morale de La Grenouille et le Rat est elle aussi très proche de Tel est pris qui croyait prendre : « La ruse la mieux ourdie Peut nuire à son inventeur ; Et souvent la perfidie Retourne sur son auteur. »
Cette fois, La Grenouille et le Rat est bel et bien inspirée d’une fable d’Ésope : Le rat et la grenouille.
LE RAT ET LA GRENOUILLE
Un rat de terre, pour son malheur, se lia d’amitié avec une grenouille. Or la grenouille, qui avait de mauvais desseins, attacha la patte du rat à sa propre patte. Et tout d’abord ils allèrent sur la terre manger du blé ; ensuite ils s’approchèrent du bord de l’étang. Alors la grenouille entraîna le rat au fond, tandis qu’elle s’ébattait dans l’eau en poussant ses brekekekex. Et le malheureux rat, gonflé d’eau, fut noyé ; mais il surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Un milan, l’ayant aperçu, l’enleva dans ses serres, et la grenouille enchaînée suivit et servit, elle aussi, de dîner au milan.
Même mort, on peut se venger ; car la justice divine à l’œil sur tout, et proportionne dans sa balance le châtiment à la faute.
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