Proverbe vient du latin proverbium. Le Gaffiot (dictionnaire latin/français, célèbre référence des latinistes) traduit proverbium par « proverbe ; dicton ». La plupart des autres dictionnaires font de même, ajoutant parfois « sentence », « aphorisme », ou « adage ».
Le Dictionnaire latin/français d’Henri Gœlzer précise « expression » et surtout « parabole, énigme » qui entraînent proverbium vers un sens plus spécifique.
Et la construction du mot le confirme…
Son préfixe « pro » est une préposition latine signifiant « devant, pour, dans le but de, au lieu de ». Il marque l’objectif à atteindre ou le remplacement d’une chose par une autre. La racine « verbium » renvoie à verbum, qui signifie « mot, terme », mais aussi « expression, parole », et au pluriel : « discours ; verbe ; le Verbe (Dieu) ».
Proverbium signifie donc à la fois « au lieu du discours » et « dans le but du discours ». Dans le premier cas, il désigne une façon de s’exprimer qui en remplace d’autres. Il est comme un résumé qui dit les choses “autrement”.
Dans le second, il exprime une volonté d’aboutir à du discours, ce qui implique que le message contienne un sens interprétable. Proverbium devient alors une formule à déchiffrer, une énigme.
Enfin, pris dans son sens de verbe, verbium suppose la notion d’action. Proverbium signifie alors « pour agir », il prend la direction du conseil.
Pour faire un clin d’œil à la série des PROverbes… Si proverbe veut dire « pour les mots », on peut aussi s’amuser à y entendre : les pros du verbe, des « pros » qui aiment la langue et les mots !
Plus sérieusement, cette analyse de proverbium débouche sur une définition de proverbe qui pourrait être : résumé d’autres dires, chargé de sous-entendus, de possibles énigmes et pouvant porter conseil.
Notons par ailleurs que le proverbium a souvent fait référence aux « proverbes bibliques ».
Le Dictionnaire historique de la langue française nous dit qu’ils ont été dénommés ainsi au début du XIIIe siècle, à partir de leur première appellation latine : parabola (la parabole est un récit contenant un enseignement caché par la symbolisation de son thème).
En savoir plus sur Les proverbes bibliques
Regroupés par livrets dans le « Livre des proverbes » de l’Ancien testament sur trente-et-un chapitres, les proverbes bibliques font partie des « Livres poétiques ».
Les Proverbes de Salomon en constituent la majeure partie. Certains proverbes lui sont directement attribués, d’autres sont « rapportés ». (Salomon, fils de David, fut roi d’Israël. La datation de son règne est difficile à établir car la Bible est la principale source de données et celles-ci restent soumises à l’interprétation du texte. L’hypothèse la plus courante situe ce règne autour du Xe siècle avant J.-C. mais elle est controversée.)
Les motifs principaux des proverbes bibliques sont la sagesse et sa transmission. Ils s’attachent à instruire sur les grands thèmes moraux : l’intelligence, le bon sens, la justice, le jugement, l’équité, la bonne manière de vivre. Par ailleurs, ils glorifient Dieu et appellent à son respect.
Empruntant volontiers le registre du commandement, ils se rapprochent de la maxime ou de la sentence. Ils peuvent aussi être plus concrets et emprunter leurs images à la vie de tous les jours.
Certains contiennent un précepte, par exemple, erit Israël, in proverbium, et in fabulam cunctis populis, qui signifie textuellement « Israël sera le proverbe et la fable pour tous les peuples » (souvent traduit par « Israël sera le jouet de tous les peuples »).
D’autres se présentent comme des paraboles ou des énigmes, et l’un d’eux précise que le sage occulta proverbiorum exquiret : « cherchera ce que cachent les proverbes ».
Les neuf premiers chapitres des « Proverbes bibliques » constituent le premier livret, où Salomon s’adresse à son fils et l’exhorte à la sagesse sur un mode lyrique et solennel.
Par exemple : La sagesse, au-dehors, va clamant, le long des avenues elle donne de la voix. / Dominant le tumulte elle appelle ; à proximité des portes, dans la ville, elle proclame : / « Jusqu’à quand, niais, aimerez-vous la niaiserie ? (…) ». Suivent les appels de la sagesse, présentée comme une prophétesse.
Le second livret se nomme « Premier recueil salomonien » et réunit treize chapitres de conseils de sagesse destinés à tous. Ces proverbes, assez courts, sont construits de façon identique : deux propositions qui décrivent le « Bon » et le « Mauvais », souvent en les opposant, ou qui parlent du Seigneur.
Exemples : Un fils sage réjouit son père, un fils insensé chagrine sa mère. ; La langue du juste est un argent de choix, le cœur des méchants ne vaut pas grand chose. ; Des paroles aimables sont un rayon de miel ; C’est doux au palais, salutaire au corps ; Les yeux du Seigneur sont partout, observant les méchants et les bons.
Suivent deux « Livrets des sages ». Ils continuent de prodiguer des conseils moraux, souvent adressés aux fils, et comprennent aussi deux « portraits » : l’ivrogne et le paresseux.
Le cinquième livret est à nouveau un recueil salomonien, attribué aux gens d’Ézéchias, roi de Juda. Il contient des proverbes de style varié.
Certains ne vont pas sans ironie : Mets rarement les pieds chez ton ami, autrement, exaspéré, il te prendrait en grippe. D’autres sont plutôt poétiques : De l’eau fraîche pour une gorge altérée / telles de bonnes nouvelles venues d’un pays lointain.
Le style s’éloigne parfois du lyrisme du recueil attribué à Salomon : Répond au sot selon sa folie / de peur qu’il ne s’imagine être sage ; La porte tourne sur ses gonds et le paresseux sur son lit ; Une gouttière qui coule sans cesse un jour de pluie et une femme querelleuse sont pareilles. Un des proverbes donne des conseils d’économie rurale, éventuellement symboliques. Mais la thématique générale reste celle du Bien et du Mal.
Cette partie aboutit au trentième chapitre, qui comprend deux livrets.
Le premier contient les paroles d’Agour, fils de Yaqè, présentées comme un oracle. Ce texte, sorte de prière, est probablement un emprunt aux sagesses orientales.
Le deuxième réunit les proverbes numériques. Le premier dit : La sangsue a deux filles : Donne, donne… Les huit autres proverbes ne comportent en fait pas tous des nombres. Leurs thèmes n’ont pas de réelle unité, mais restent presque tous sans solennité.
Dans le dernier chapitre et huitième livret, le roi Lemouël rapporte les paroles de sa mère, soit des conseils pour remplir son devoir de souverain et, beaucoup plus longuement, la description de l’épouse idéale : courageuse au travail, mais aussi habile en affaires.
Au fil du temps, « proverbe » a été expliqué ou analysé de bien des façons.
Socrate (Ve siècle avant J.-C.) écrit qu’ils sont « des manières de dire courtes et mémorables ». Platon, son élève, insiste sur son aspect populaire et écrit dans son Protagoras que les proverbes émanent du « plus modeste des Spartiates ».
En 1694, le premier Dictionnaire de l’Académie donne cette définition : « espèce de sentence, de maxime, exprimée en peu de mots, et devenue commune et vulgaire. » (Vulgaire vient du latin vulgus : la foule.)
Plus tard, les dictionnaires du XIXe feront les premières tentatives de différenciation entre « proverbe », « adage », « sentence » et « maxime ». Mais ainsi que vous pouvez le voir dans « Proverbe ou dicton ? », les frontières entre ces termes restent souvent minces.
Voir plus de définitions des époques passées
• En 1694, le premier Dictionnaire de l’Académie ajoutait : « La pluspart des proverbes sont figurez. Les proverbes renferment beaucoup d’instructions utiles », précisant ainsi la forme souvent imagée ou présentant deux niveaux de lecture, et reconnaissant au passage leur intérêt pour l’homme.
• En 1823, de La Mésangère écrit, dans son Dictionnaire des proverbes français : « Le proverbe renferme une petite vérité naïve ».
• En 1826, Antoine Caillot résumait les sens que son temps lui donnait ainsi, dans son Nouveau Dictionnaire proverbial…
« Les proverbes sont des sentences exprimées en peu de mots, qui renferment des vérités confirmées par l’expérience des siècles. On en distingue de trois espèces. Dans la première sont compris les principes généraux de la morale, énoncés dans un style précis et dogmatique ; tels sont les proverbes de Salomon. La seconde espèce consiste dans certaines expressions, dont le sens est si naturel et si clair, qu’elles restent pour toujours gravées dans la mémoire. On en trouve un grand nombre dans Molière et autres anciens auteurs dramatiques. La troisième espèce offre un jargon trivial dont le peuple se sert pour exprimer des idées vraies qu’il doit à ses propres réflexions ou à une vieille tradition. C’est cette dernière espèce à laquelle Molière a donné le nom de proverbes traînés dans les ruisseaux des halles. »
Les « espèces » ainsi définies supposent l’idée d’une hiérarchie des proverbes. La première catégorie les place dans un domaine voisin du « sacré », la seconde dans celui du littérairement réussi, la troisième les réduit à un rang inférieur, tant du point de vue du mérite des inventeurs de proverbes (le peuple se contente parfois de colporter une tradition) que de la qualité du style employé : un jargon trivial « traîné dans les ruisseaux » !…
• En 1828, Charles de Méry définit le proverbe comme « des vérités pratiques dictées aux nations par l’expérience et le bon sens, et des résultats d’observations générales et variées sur les causes morales et leurs effets. […] Le proverbe, dans son terme générique, est un mot mis en avant, une expression, une phrase renfermant dans un sens complet, une vérité que l’usage met dans toutes les bouches et qui prend date. Dans le sens le plus étendu, c’est une expression relative aux mœurs, aux usages, à l’état des êtres existants, des choses physiques et morales, et à laquelle l’usage, ce souverain de la société, et la forme piquante sous laquelle elle est produite, attachent un sens familier qui la fait passer dans la conversation comme un axiome. »
L’idée de valeur d’axiome (vérité à accepter sans démonstration, à cause de la force de son évidence), fait l’originalité de l’analyse de Charles de Méry : les proverbes peuvent ainsi servir de base de jugement, solide a priori…
Les dictionnaires actuels ont parfois encore recours aux mots « maxime » ou « sentence ». Au-delà de ces termes, les énoncés des définitions sont plus ou moins explicites.
Certains citent un caractère de brièveté, tous s’accordent sur un point : le proverbe relève du « populaire » ou du « commun ».
Plus parlant que d’autres dictionnaires, le Petit Robert propose : « Formule présentant des caractères formels stables, souvent métaphorique ou figurée et exprimant une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse pratique et populaire, commun à tout un groupe social. »
Voir d’autres définitions actuelles
• Le Littré : « Sentence, maxime exprimée en peu de mots, et devenue commune et vulgaire » ;
• Le Grand Larousse encyclopédique : « Sentence, maxime exprimée en peu de mots et devenue populaire » ;
• Le Quillet-Flammarion : « Maxime brève passée dans l’usage commun » ;
• Le Dictionnaire historique de la langue française de Robert précise que proverbe désigne une sentence morale ou une maxime de sagesse « par extension ».
La définition du Petit Robert révèle des caractéristiques essentielles du proverbe : il est compris et reconnu par une communauté linguistique et il est fondé sur l’expérience. Il procède ainsi d’un partage, d’une entente.
Proverbe français, proverbe arabe, proverbe japonais… Ainsi que le montre « Génie des Nations », le proverbe est même un moyen d’approcher les cultures et les mentalités.
Les expressions « passer en proverbe » et « devenir proverbial » figurent dans la plupart des dictionnaires. Elles évoquent l’accès des formules au statut de proverbe et leur donne la valeur d’une vérité acceptée.
Ce « passage en proverbe » signifie bien sûr un accès à la célébrité, mais aussi une sorte de promotion : le proverbe devient un repère fiable du fait même de son partage.
On peut se demander comment ou pourquoi ce « passage » se fait… Cela revient à se demander ce que les proverbes ont en commun, malgré leur nombre et leur diversité. La réponse à cette question est simple…
Qu’ils constatent, décrivent, commentent, se moquent, ou tentent de le conseiller, tous les proverbes parlent bien sûr de l’Homme.
Mais à mieux y regarder, ils parlent surtout de sa “nature”. Celle-ci n’est jamais remise en cause, car les proverbes considèrent que l’Homme a toujours été et sera toujours ce qu’il est. Ils ne s’attachent qu’aux conséquences d’une nature humaine acceptée comme telle.
Cette façon de s’exprimer sous la forme d’affirmations de vérités éternelles est le « style vériste » des proverbes.
Il ne concerne pas que l’Homme, car les proverbes se basent aussi sur l’a priori d’une nature du Monde et de son fonctionnement. Et à chaque fois qu’un proverbe passe par une image animalière, végétale ou météorologique, nature humaine et nature du Monde sont en étroite relation.
Finalement, toutes les images des proverbes ne font pas qu’illustrer la façon d’être de l’Homme, elles lui servent aussi de justification.
Pour lire ou comprendre la plupart des proverbes, il y a deux possibles : la métaphore et le figuré, qui présentent chacun deux niveaux de lecture.
Les proverbes ne fonctionnent donc pas aussi simplement qu’on pourrait le croire. Mais leur ingéniosité formelle est parfois si réussie qu’elle ne se perçoit pas. On la réalise mieux en donnant leurs noms savants aux nombreuses figures stylistiques qu’il emploie.
Voir les différentes figures stylistiques des proverbes
La métaphore (l’image suggestive ou significative), exemple : « Toute médaille a son revers », « Quand le chat n’est pas là, les souris dansent », « On ne peut pas être au four et au moulin », et une infinité d’autres proverbes…
L’hyperbole (l’exagération) : « Pour une joie, mille douleurs », « Un de perdu, dix de retrouvés », « Secret de trois, secret de tous ».
L’allitération (la répétition d’un son) : « Tout passe, tout casse, tout lasse », ou « Patience passe science ».
La personnification (d’une notion abstraite) : « L’opinion est la reine du monde », « Rien ne fait pas d’enfant ».
La litote (la suggestion d’un grand sens par une formulation atténuante, souvent ironique), « L’argent n’a pas d’odeur ».
L’antiphrase (l’expression d’une idée par son contraire, procédé lui aussi plein d’ironie), « À force de mal, tout ira bien », ou « Il n’y a que la foi qui sauve ».
Certains proverbes frôlent la poésie. Quelques-uns peuvent être mi cyniques mi émouvants, comme ce proverbe du XVIe siècle : « Qui avec malheureux couche, il a froid quoiqu’il lui touche ».
Le partage par le groupe appelle la complicité, et les proverbes, le ludique. Ils peuvent se modifier, avoir des variantes, d’autant plus aisées qu’ils se prêtent aux jeux de mots.
Passer par l’imagé est un jeu en soi, et les métaphores choisies sont souvent drôles. (Exemple : « Le grand poisson mange le petit », ou « On creuse sa tombe avec sa fourchette ».)
Ils peuvent aussi s’amuser à crypter leur message grâce au jeu d’une lecture littérale et d’une autre figurée. (Exemple : « Qui trop embrasse mal étreint », ou « Chacun voit avec ses lunettes ».)
L’ironie fréquente du ton peut elle aussi dédoubler le sens. (Il y a plusieurs façons de dire et d’entendre L’espoir fait vivre.)
La phonétique comme la rythmique jouent souvent avec les sons. Plus les proverbes sonneront, plus on les retiendra, et plus on les répètera, plus leur carrière sera assurée…
Enfin, appartenant par nature à l’oralité, les proverbes sont vivants. Au fil de leur chemin dans le temps, ils ont une histoire. Certains se perdent, d’autres restent figés dans des tournures vieillottes qui ont souvent leur charme.
Dans beaucoup de langues, le mot a la même origine latine que la nôtre, les Anglais disent proverb, les Italiens, proverbio. En Espagne, on dit également proverbio, mais aussi refran « refrain », et ce « refrain » insiste sur le sempiternel retour du proverbe !
Chez nos voisins germaniques, le mot proverbe porte ses caractéristiques en lui : le sprichwor allemand se décompose en spritchen, « parler » et wort, « mot ». Il signifie donc « mot qui parle », de même que le spreekwoord néerlandais.
Le ordtak norvégien traduit l’aspect percutant des proverbes, car il se décompose en rod « rengaine, slogan » et tak « clef, coup, effort ».
Le ordsprog danois signifie « proverbe », mais aussi un vaste « énonciations ».
Quant au sananlasku finnois, il est particulièrement édifiant, car sanan veut dire « mot », et lasku « chute, atterrissage, descente » mais aussi « facture ou « évaluation quantitative ». Le proverbe finlandais serait donc l’aboutissement tout à fait calculé d’une somme de « mots ».
Les proverbes ont traversé les époques en transportant toutes leurs petites vérités. Sans doute arrivent-ils à cerner en quelques mots assez d’universalité pour être restés valides.
L’humain y parle de lui-même, en général ou en particulier… Sujet inépuisable, aussi bien pour les simples que pour les lettrés.
S’y reconnaître peut rassurer, ou l’inverse… Mais dans un cas comme dans l’autre, cela fait souvent sourire. L’ironie a la faculté de rassembler les hommes !
Sachons enfin qu’au XVIIe siècle, un proverbe était aussi une « petite comédie illustrant un proverbe« … Cela rejoint l’idée qu’un proverbe a la possibilité de résumer toute une histoire… Ou des centaines de situations reliées entre elles par quelques mots.
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