Comme dans cet exemple, le contenu du message fait la différence :
À la Saint Modeste, repique tes choux s’il t’en reste est un dicton, On ne peut ménager la chèvre et le chou est un proverbe.
Les dictons ne sont donc que des simples affirmations pratiques, des conseils.
Ils sont souvent des observations à l’usage des cultivateurs ou des marins. Ils peuvent aussi concerner l’alimentation et s’adressent alors à tous. D’autres prédisent la météo, et plus rarement, l’avenir.
Comme les proverbes, ils se basent sur l’expérience et l’observation. Mais, contrairement à eux, ils supposent volontiers un mélange de croyance magique et de superstition.
Distinction tout aussi importante : le dicton affirme du concret, il limite son propos à la nature et aux gestes usuels ; souvent avec ironie, parfois à la limite du jugement moral, le proverbe parle de l’Homme.
Formellement, il tire la plupart du temps sa signification de plusieurs niveaux de lecture : image à interpréter, sens littéral et figuré. Le dicton n’en a qu’un : le littéral.
Enfin, les proverbes sont généralement pleins d’humour, grâce à cette possibilité de lectures multiples et à leur ironie. Du côté des dictons, la drôlerie ne peut provenir que de leur répertoire élémentaire et de cette « croyance magique », sans doute déjà plaisante autrefois, encore amusante aujourd’hui.
Mais il faut rester prudent, car ce qu’on attribue parfois à de la croyance peut trouver une tout autre justification (l’influence réelle des cycles lunaires sur les cultures, par exemple, ou celle de la météo sur les animaux).
Voir les différentes catégories de dictons
Les dictons sont souvent liés à l’observation des phénomènes et des éléments naturels : le ciel, les nuages, les intempéries, les étoiles, la lune…
Ils se basent aussi sur les animaux et les végétaux auxquels ils associent souvent une prédiction : Pie dans la ferme / Neige à court terme ou An qui produit par trop de glands / Pour la santé n’est pas bon an.
Certains, moins nombreux, relèvent de la pure superstition : Qui tue le goéland / La mort l’attend.
La catégorie « animaux et végétaux » peut aussi exposer des faits vérifiables, dus à la coïncidence des phénomènes naturels ou à la connaissance de l’interaction entre terrain et végétaux : Les taupes poussent / le dégel n’est pas loin, Où pousse la fougère / c’est de la bonne terre ;
Ceux qui concernent l’alimentation donnent aux produits naturels une incidence sur la santé : Le jus d’absinthe est fort amer / Mais il guérit du mal de mer, Le céleri / Rend des forces aux vieux maris.
Beaucoup de dictions s’articulent sur le calendrier, le temps, la nature et attribuent à chaque saison, mois, ou Saint de l’année une influence sur les cultures, la météo, ou même sur l’avenir : Été brûlant / Fait lourd froment, Beau temps à la Saint-Denis / Hiver pourri, Noces de mai, / Ne vont jamais…
Ils peuvent aussi associer un moment de l’année à un geste précis : Passé la Saint Clément / Ne sème plus de froment.
Si la plupart des dictons « dictent » un geste ou font une prévision, certains sont une formule astucieuse qui décrit un fait aussi récurrent qu’évident : Quand lilas il y a / Blé il y a, ou Noël et Saint Jean / Partagent l’an (Noël est presqu’au solstice d’hiver, la Saint Jean, au solstice d’été).
D’autres font un constat un peu trivial mais amusant, comme Chou réchauffé / Mauvais dîner ; D’autres encore sont un conseil pour se vêtir, comme le célèbre En avril, ne te découvre pas d’un fil.
Ils peuvent aussi, plus rarement, célébrer une habitude d’ordre social, par exemple, la saison des mariages : À la Saint Thomas / on marie les filles avec les gars ;
Plus rarement encore et pour ainsi dire « au passage », ils contiennent une petite réflexion critique sur les femmes ou les filles : Huit jours de neige, c’est une mère / Plus, c’est une belle-mère, ou Ciel moutonné, / Femme fardée / Ne sont pas de longue durée.
Les ouvrages d’autrefois en sont partiellement responsables. En 1694, le premier Dictionnaire de l’Académie définissait dicton par « proverbe, dire commun ». Par la suite, plusieurs dictionnaires ont continué à mentionner le proverbe pour définir le dicton.
S’il a existé bien plus de recueils de proverbes que de dictons, les deux genres ont souvent été regroupés. Cela a probablement contribué à entretenir la confusion.
Les dictionnaires actuels peuvent encore provoquer une certaine perplexité… En effet, les définitions de « dicton » qu’on y trouve se servent le plus souvent de l’expression « passé en proverbe ». Et même si cela ne pointe sans doute que la notoriété ou le partage par le groupe, cela n’aide évidemment pas à différencier le dicton du proverbe…
Voir des définitions de dicton
• Le Petit Robert : « Sentence passée en proverbe. »
• Le Larousse : « Sentence populaire qui est passée en proverbe. »
• Le Littré : « Mot, sentence qui a passé en proverbe. »
Pourtant, l’étymologie de « dicton » affirme sa différence : le mot vient du latin dictum, « mot, sentence », et du participe passé du verbe dicere, « dire ».
Le dicton n’est donc rien de plus que des mots « dits » (la notion de “dit et répété” n’est pas loin). C’est l’origine même du mot qui place le dicton dans l’oral, et cela correspond à la nature concrète et pratique de son contenu.
De son côté, le proverbe peut faire résonner beaucoup d’autres dires, derrière son apparente simplicité. L’étymologie de proverbium (le « proverbe » latin) le confirme.
Voir l’étymologie de proverbium
Son préfixe « pro » est une préposition signifiant « devant ; pour ; dans le but de ; au lieu de ». Il marque la visée d’un objectif à atteindre ou le remplacement d’une chose par une autre.
La racine « verbium » renvoie à verbum, qui signifie « mot, terme », mais aussi « expression, parole », et au pluriel : « discours ; verbe ; le Verbe (Dieu) ».
Pouvant signifier textuellement « à la place de la parole », le proverbe (proverbium) devient un résumé de discours.
Il devient aussi des mots dont le but est d’en dire d’autres, ou une formule contenant des sous-entendus à comprendre et même une énigme à déchiffrer.
La notion de verbe, qui contient celle de l’action, peut aussi donner à proverbium un sens de conseil « en vue d’agir ».
Au contraire du proverbe, le dicton ne peut jamais prendre d’aspect littéraire, ni être tiré de la littérature. De fait, il a souvent le statut de « dire » régional, alors que beaucoup de proverbes ont une étendue bien plus vaste.
Enfin, quelques dictons, très rares, sont répertoriés avec la mention « proverbe » dans certains dictionnaires et cela participe sans doute de l’amalgame.
C’est par exemple le cas de « Une hirondelle ne fait pas le printemps » dont on peut comprendre l’origine rurale pleine d’utilité pour le cultivateur. Mais l’image peut avoir un autre sens et c’est sans doute ce qui a fait de ce « dire » un proverbe.
Là encore, les dictionnaires lient volontiers ces mots au proverbe, et si certains ouvrages du XIXe siècle ont tenté de les distinguer, les dictionnaires actuels les définissent encore en les renvoyant les uns aux autres !
Les approches de ces mots ont changé au fil des époques, ce qui ne facilite rien.
Enfin, leurs différences sont d’autant plus délicates à saisir que, cette fois, ils désignent tous une formule dont le contenu peut être d’ordre moral…
♦ L’adage : le terme a pris un aspect vieillot, bien qu’il soit historiquement le dernier-né des trois mots (1529). Certains l’ont jugé « supérieur au proverbe » par le passé.
Les dictionnaires actuels nous disent que, comme le proverbe, il peut provenir d’un dire populaire. Ils ont recours à « sentence » et « maxime » pour le définir et lui donnent la valeur d’une « règle à suivre ».
Cette règle reprend souvent une formule du droit juridique, nous dit-on (et du même coup, sa rigueur). Elle s’applique au domaine du pratique et tout ceci éloigne l’adage du proverbe, tant du point de vue du contenu que de celui de l’humour.
On peut sans doute avancer que si le sens d’un adage peut être tiré vers un sens figuré, il devient un proverbe (par exemple : « Mieux vaut acheter qu’emprunter »).
Enfin, l’adage ne peut guère s’exprimer par image. Le plus souvent, il n’aura donc qu’un sens : le littéral.
Voir les définitions et l’étymologie de “adage”
♦ Côté définition : l’approche du mot tout particulièrement évolué au fil du temps…
Au XIXe, Charles de Méry dit de l’adage qu’il est un proverbe particulièrement spirituel, et donc plus « pénétrant » et « excitant » pour l’esprit (Histoire générale des proverbes français, 1828).
Mais les dictionnaires actuels invalident cette perception de l’adage et le limitent aux définitions suivantes :
• Le Petit Robert : « maxime pratique ou juridique, ancienne et populaire » ;
• Le Larousse : « maxime ancienne et populaire, empruntée au droit coutumier ou écrit » ;
• Le Littré : « sentence, (un) dire populaire ». (Il donne comme exemple : « Qui aime bien, châtie bien »).
• Le Dictionnaire des sentences latines et grecques résume : « expression voisine du proverbe, mais dont les origines sont moins populaires ». (Le « moins populaire » recouvrant sans doute l’origine possiblement juridique.)
Tous les dictionnaires paraissent donc à peu près d’accord au moins sur un point : l’origine de l’adage.
Et si l’on donne à « sentence » son sens d’injonction solennelle, presque toutes ces définitions considèrent l’adage soit comme un « conseil pratique à suivre », soit comme une « règle venue d’une autorité ».
♦ Étymologie : adage apparaît en 1529 et vient du latin adagium, synonyme de proverbium. Adagium vient lui-même d’adagio, qui se décompose en ad, « avec ; vers ; pour ; jusqu’à ; à propos de », et agio, « je fais ».
Quelle que soit la traduction qu’on applique à ad elle débouche sur l’environnement de acte. L’adage peut effectivement être un conseil pour agir…
Mais pour le Dictionnaire historique de la langue française de Robert, la bonne étymologie n’est pas agio, mais aio, « je dis ». Ainsi, l’adage se limiterait au but de dire… seulement ce qu’il dit.
♦ La sentence : ses particularités majeures résident dans son style et sa fonction.
C’est une « formule solennelle et littéraire qui délivre un message moral destiné à édifier le groupe social ou l’individu ».
Elle diffère donc du proverbe par l’origine : celle du proverbe est souvent populaire. Elle diffère aussi par le contenu : celui du proverbe peut être d’ordre moral, mais il ne s’exprime pas solennellement, bien au contraire.
Notons au passage le sens de l’adjectif sentencieux : grave, solennel, pompeux, affecté ! D’ailleurs, comme l’écrit Charles de Méry (en 1828), la sentence doit « être serrée, concise, exprimée en termes imposants ».
Voir les définitions et l’étymologie de “sentence”
♦ Côté définition : le mot présente toujours deux significations possibles, bien entendu reliées entre elles. Il est donc intéressant de ne pas citer seulement celle qui désigne la formule voisine du proverbe…
• Le Robert : « 1 : Décision rendue par un juge ou un arbitre. 2 (1509) Vieilli : Pensée (surtout sur un point de morale) exprimée de manière littéraire et dogmatique ».
• Le Larousse : « 1 : Décision rendue par un arbitre, un juge, un tribunal. 2 : Courte phrase de portée générale, précepte de morale, maxime ».
• Le Littré : « 1: Parole qui renferme un grand sens, une pensée morale. 2 : Jugement rendu par des juges, par des arbitres, par une assemblée ».
• Le Dictionnaire des sentences latines et grecques fait court : « une sentence, en quelques mots, exprime un enseignement moral dont l’origine n’est plus populaire mais érudite et littéraire ».
(On peut noter par ailleurs que même si les dictionnaires utilisent « sentence » pour définir le dicton, la réduisant à une affirmation exprimant un avis, il existe un écart certain entre le “sérieux” de la sentence, et la modestie du dicton.)
♦ Étymologie : sentence apparaît en 1190 et vient du latin sententia, « façon de se sentir, de penser ». Le terme provient du droit romain : c’est l’avis (donné au Sénat), ainsi que le vote.
En rhétorique, la sentence désigne la phrase qui conclut le discours. L’étymologie de sententia débouche sur le verbe latin sentire « éprouver » (un sentiment, une sensation), « avoir et exprimer un avis ».
♦ La maxime : est une « règle de conduite ou de jugement ».
Elle contient un principe ou une vérité capables de les dicter, elle peut donc ressembler à une sentence de portée générale.
Contrairement à l’adage (d’ordre pratique), elle appartient au champ moral. Proche de la sentence, elle s’éloigne du proverbe, celui-ci ne ressemblant guère à une règle ou une loi à observer.
Voir les définitions et l’étymologie de “maxime”
♦ Côté définition :
• Le Robert : « 1 : (1538) Règle de conduite, règle de morale ; appréciation ou jugement d’ordre général. 2 spécialt : Formule lapidaire énonçant une règle morale ou une vérité. »
• Le Larousse : « Formule qui résume un principe de morale, une règle de conduite ou un jugement d’ordre général. »
• Le Littré : « Proposition générale qui sert de règle. »
• Le Dictionnaire des sentences latines et grecques considère quant à lui que la maxime « possède les mêmes caractéristiques que la sentence, mais qu’elle est plus développée, plus élaborée philosophiquement parlant ». Il semble donc, a contrario des dictionnaires usuels, ne pas donner à la maxime une forme plus concise que la sentence.
♦ Étymologie : maxime apparaît en 1330 et vient du latin : maxima (sous-entendu sententia) « la plus grande (sentence) ».
« La plus grande » pourrait justifier le « plus développée, plus élaborée » du Dictionnaire des sentences cité plus haut, mais il signifie surtout « la plus générale et universelle », ce qui aboutit souvent à une formulation plus concise, et effectivement « résumée », ou « lapidaire ».
♦ Quid de l’aphorisme et l’apophtegme ?
Bien que plus rarement rapprochés du terme et de la notion de proverbe, on peut aussi les citer et donner leurs définitions…
L’apophtegme est une « Parole mémorable ayant une valeur de maxime » (Le Petit Robert), ce qui attribue cette « parole » à un auteur, qui plus est, dans des circonstances précises.
L’aphorisme est une « Formule ou prescription concise résumant une théorie, une série d’observations ou renfermant un précepte » (idem).
Il est sans doute utile de signaler que l’aphorisme peut avoir un sens péjoratif qui le tire vers la banalité prétentieuse…
Écoute toute parole qui vient de Dieu, que les proverbes subtils ne t’échappent pas.
Toute question de croyances religieuses mise à part, cet extrait de La Bible laisse entendre que les proverbes ont un vaste potentiel de subtilité !
C’est tout simplement sans doute moins le cas de ses cousins adages, sentence, maximes et dictons.
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