Les proverbes sont issus de la littérature, mais avant tout du peuple. Il est donc bien normal qu’ils aient franchi le seuil du théâtre, art de tradition populaire s’il en est.
Au XVIIe siècle, le temps où le duc de La Rochefoucault ou le Chevalier de Méré cherchaient à “ennoblir” les proverbes par des recueils de maximes battait son plein…
Du XVIe au XVIIIe siècle, beaucoup d’auteurs se sont appliqués à distinguer les proverbes populaires des sentences et maximes plus littéraires, jugeant que seules celles-ci étaient dignes d’intérêt.
Ce mépris a résulté d’une grande floraison d’ouvrages recueillant des proverbes populaires à l’époque du Moyen-Âge et du latin médiéval, le plus célèbre étant sans doute Les Proverbes au Vilain (1175). Le vilain (du latin villanus : habitant de la campagne) était un paysan libre, au Moyen-Âge. Et les érudits ont considéré ces proverbes comme trop « vils » (du latin villis : à bas prix) pour mériter une place dans l’écrit.
Les lettrés se sont également inquiétés de la profusion de proverbes qui semblait envahir une partie de la littérature, notamment chez Rabelais (Pantagruel & Gargantua, 1534 & 1535) ou Cervantès (Don quichotte, 1605 & 1615).
De l’Académie à Littré, le proverbe, qui pècherait donc par son origine et sa teneur, est qualifié de « vulgaire » (du latin vulgus : la foule, le peuple), et nombre de lexicographes s’opposèrent à l’introduction dans le dictionnaire de l’Académie de mots et expressions de cet ordre.
Antoine Furetière, auteur d’un dictionnaire publié en 1690 en Hollande pour cause de non autorisation royale, grogne contre les académiciens : « Messieurs [qui] croient qu’ils ont assez de crédit pour changer la Langue, et pour mettre les proverbes en regne et dans le haut-stile, puisque la meilleure partie de leur Dictionnaire en est composée ; de sorte qu’au lieu que l’Academie devoit faire passer le langage de la Cour dans la Ville, elle fera passer celui du peuple dans la Cour ».
Vous pouvez en savoir plus sur la critique des proverbes populaires ici.
La bibliographie des ouvrages du Moyen-Âge ou des Maximes du XVIIIe siècle est là.
Dans le même temps, la haute société avait trouvé un jeu : elle mettait des proverbes en scène pour les faire deviner à leurs amis, cour et invités.
Très divertissant, ce petit jeu théâtral s’appelait simplement le jeu de proverbe. Il fût suffisamment en vogue dans les salons pour qu’aujourd’hui encore, les dictionnaires traduisent le mot proverbe dans le sens de « petite comédie ».
En 1663, une première pièce comique, La comédie de proverbes, sera éditée.
En savoir plus sur La Comédie des Proverbes.
La Comédie de proverbes a été publiée par un anonyme, mais elle est souvent attribuée à Adrien de Montluc-Montesquiou, comte de Carmain et galant de la cour d’Henri IV (1571-1646).
C’est une fable en trois actes composée de près de deux mille formules proverbiales de source inconnue. Elle participe d’une expérience aussi linguistique que théâtrale. Elle est destinée à la scène, mais on ignore si elle a été jouée après sa parution.
Sans doute peu remarquée par ses contemporains, elle a par la suite connu un certain succès grâce à de nombreuses rééditions.
La dernière est de 2003 (sous la direction de Michel Kramer, aux éditions Droz).
Mais c’est surtout Louis Carrogis, dit Louis de Carmontelle, portraitiste et auteur dramatique (1717-1806), qui fera de ce jeu un genre littéraire.
Entre 1768 et 1811, il publia plus de vingt recueils généralement tous intitulés Proverbes dramatiques et, grand référent du genre, Carmontelle sut définir la mise scène de proverbes mieux que personne :
« Le proverbe dramatique est une comédie que l’on fait […] en se servant de quelque historiette. Le mot du proverbe doit être enveloppé dans l’action, de manière que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu’on le leur dit, qu’ils s’écrient : « Ah ! c’est vrai », comme lorsqu’on dit le mot d’une énigme que l’on n’a pu trouver. »
En savoir plus sur les Proverbes de Carmontelle.
Les proverbes de Carmontelle sont : Proverbes dramatiques (1768-69), Amusemens de société, ou Proverbes dramatiques (8 volumes, 1768-71), Proverbes dramatiques (8 volumes, 1774-81), Théâtre de campagne (4 volumes, 1775), Nouveaux Proverbes dramatiques (2 volumes, 1811), Proverbes et comédies posthumes de Carmontelle (3 volumes, 1825).
Écrits dans en langage familier, ils parlent des évènements la vie courante, et sont surtout des canevas donnant prétexte à l’improvisation.
Organisateur des divertissements de la cour du duc de Chartres (Philippe d’Orléans), Carmontelle n’invitait pas la noblesse à seulement deviner les proverbes, mais aussi à monter sur scène.
Les nobles interprétaient tous les rôles, des leurs jusqu’à ceux des gens du peuple. Grand amuseur, Carmontelle y prenait part et se réservait souvent les personnages les plus risibles, tel l’avare ou le mari jaloux.
Théâtre de mœurs sans prétention, les proverbes de Carmontelle ont remporté un vif succès avant tout parce qu’ils étaient un jeu. Diderot, assez méprisant, a écrit à leur sujet : « Ah ! si ce sujet fût tombé dans la tête d’un poëte, il y a de l’étoffe pour cinq bons actes bien conditionnés et bien chauds ».
Cela n’empêcha nullement plusieurs rééditions des proverbes de Carmontelle. Ni de très nombreuses représentations au fil des siècles, jusqu’à nos jours.
Beaucoup de proverbes de Carmontelle sont également répertoriés dans les recueils.
Genre négligé à l’occasion de la Révolution Française, le proverbe réapparaît au théâtre au début du XIXe siècle. Les proverbes de Carmontelle sont à nouveau joués sur les boulevards. Puis, délaissant le jeu de la devinette, le genre du proverbe dramatique évolue.
Alfred de Vigny (1797-1863) écrit Quitte pour la peur (proverbe mi satyrique mi tragique représenté à l’Opéra en 1833). La comtesse de Ségur (1799-1874) écrit son recueil Comédies et proverbes en 1866.
Le proverbe devient le titre ou le sous-titre des pièces, comme On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, de Sophie Ségur, ou Qui a bu boira, de Théodore Michel Leclercq (1777-1851). Il est parfois l’ultime réplique du dialogue…
C’est finalement avec Alfred de Musset (1810-1857) que le proverbe dramatique atteint son apogée. Représentant vingt-trois pièces et drames, ses Comédies et proverbes sont publiés entre 1832 et 1851.
Ils comptent plusieurs chef-d’œuvres du répertoire dramatiques français.
L’œuvre d’Alfred de Musset est considérée comme la contribution la plus originale et la plus marquante du romantisme au théâtre français. Néanmoins, ses pièces oublient rarement d’être drôles.
Tôt dans son parcours, il a eu recours à des expressions proverbiales pour nommer ses œuvres (Les Marrons du feu, 1829, La Coupe et les lèvres, 1832).
Carmontelle ayant été l’ami de son grand-père, il a vu jouer des proverbes dès l’enfance. Et c’est peut-être en hommage à Carmontelle que sa pièce On ne saurait penser à tout reprend les scènes du « proverbe » Le distrait.
Les Comédies et proverbes de Musset sont parfois indépendants des proverbes, c’est le cas de Lorenzaccio (1834, présenté seulement en 1896), Fantasio (1834) et Les
caprices de Marianne (1833). Sa pièce On ne badine pas avec l’amour (1834) a beau être fidèle aux règles du proverbe dramatique, elle est parfois soupçonnée de porter le sous-titre de « proverbe » pour profiter d’un phénomène de mode.
Quoi qu’il en soit, bien des titres de ses pièces rappellent la morale et l’ironie des proverbes. Parmi les pièces les plus connues des Comédies et proverbes : Il ne faut jurer de rien ; Faire sans dire (1836) ; Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (proverbe en un acte, 1845) ; On ne saurait penser à tout (1849).
Art tout aussi populaire, le cinéma a lui aussi ouvert ses portes aux proverbes.
Cela n’a rien d’étonnant, car les fables et les synopsis (qui présentent les grandes lignes des scénarii des films) ont par nature des points communs : tous deux condensent un récit, jusqu’à sa chute. Les uns y incluent souvent un « message », les autres une « morale ».
De fait, depuis Esope et le VIIe siècle avant Jésus-Christ, la fable, a toujours été apparentée aux proverbes… Et, comme les proverbes, les films ne portent-ils pas un regard sur le comportement humain ?
Grand maître en la matière, Éric Rohmer a consacré six films à sa série Comédies et proverbes, entre 1981 et 1986 : La Femme de l’aviateur, Le Beau mariage, Pauline à la plage, Les Nuits de la pleine lune, Le Rayon vert, et L’Ami de mon amie.
Chaque film porte une référence aux proverbes, en sous-titre, l’un d’eux se réfère même à Alfred de Musset et se termine par une morale à l’ironie mordante…
Chacun rejoint à sa façon la sagesse populaire des proverbes.
En savoir plus sur les films d’Éric Rohmer et leurs sous-titres
• 1981 : La Femme de l’aviateur ou « On ne saurait penser à rien », antithèse de « On ne saurait penser à tout » (Alfred de Musset). Avec Philippe Marlaud, Marie Rivière, Mathieu Carrière, Rosette, Fabrice Luchini.
• 1982 : Le Beau Mariage ou « Quel esprit ne bat la campagne qui ne fait château en Espagne » (La Fontaine). Avec Béatrice Romand, André Dussollier, Féodor Atkine, Arielle Dombasle.
• 1982 : Pauline à la plage ou « Qui trop parole, il se mesfait » (Chrétien de Troyes). Avec Arielle Dombasle, Amanda Langlet, Pascal Greggory, Féodor Atkine, Simon de La Brosse.
• 1984 : Les Nuits de la pleine lune ou « Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison » (proverbe de la province de Champagne). Avec Pascale Ogier, Tchéky Karyo, Fabrice Luchini, Virginie Thévenet, Christian Vadim, László Szabó…
• 1986 : Le Rayon vert ou « Que le temps vienne où les cœurs s’éprennent », vers extrait du poème Chanson de la plus haute tour, d’Arthur Rimbaud. Avec Marie Rivière, Vincent Gauthier, Rosette, Béatrice Romand
• 1987 : L’Ami de mon amie se réfère à « Les amis de mes amis sont mes amis ». Avec Emmanuelle Chaulet, François-Eric Gendron, Anne-Laure Meury, Sophie Renoir, Éric Viellard.
Des jeux de devinette du XVIIe siècle en passant par le théâtre du répertoire français jusqu’aux films d’Éric Rohmer, les films des « PROverbes » s’inscrivent dans une longue tradition.
Ils renouvellent le plaisir de jouer avec les proverbes. Comme eux, ils se basent sur la diversité, invitent à la complicité et à la fraternité, même… Puisque les proverbes nous relient et nous concernent tous !
Comme les films d’Éric Rohmer, ils revendiquent leurs regards d’auteurs.
Vous voulez contribuer à cet article ? Vous pouvez le faire ici