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Ça vient d’où un proverbe : l’étude des origines

Trouver l’origine d’un proverbe !

Cela permet de connaître son sens premier, et donc de mieux le comprendre.

Mais l’étude de cette origine passe par celle du parcours des proverbes, et celui-ci commence souvent il y a bien longtemps…

Traditions antiques, médiévales ou plus récentes, mais aussi recueils ou récupération de cultures orales, événements historiques, génie littéraire ou “génération spontanée” : les déroulement et causes de la naissance des proverbes peuvent être aussi différents que variés !

Son étude ne prétend donc pas être une “science exacte”. Mais c’est souvent l’occasion d’enrichir ses connaissances dans de nombreux domaines tels : évolution des langues, fonctionnement des cultures, usages traditionnels, teneur des pensées collectives…

Ce sans oublier les œuvres littéraires dont les proverbes sont tirés, parfois, et qui datent souvent d’époques très reculées.

Les origines premières

♦ L’Antiquité égyptienne

La circulation orale des proverbes remonte sans nul doute à la nuit des temps. Mais, à ce jour, les premières traces écrites du proverbe remontent à l’Égypte Antique.

Cette époque fondatrice de la civilisation est aussi ancienne qu’étendue : elle commence au troisième millénaire avant J.-C. et prend fin à l’avènement de l’Empire Romain (31 avant J.-C.). Le proverbe était alors désigné par le mot sebayt.

Le premier texte répertoriant des proverbes aurait été écrit autour de 2400 ans avant J.-C. par un haut dignitaire égyptien, dont il porte le nom : Enseignement de Ptahhotep, ou Livre des Maximes de Ptahhotep.

Il s’agit d’un papyrus découvert en 1843 par l’explorateur français Émile Prisse d’Avesnes. C’est l’un des premiers manuscrits de l’Histoire humaine qui aient été retrouvés.

Comme l’indique son second nom, plutôt que des proverbes, il réunit des maximes, pleines de sens moral et constitue une sorte de premier traité de philosophie, avant même sa naissance dans la Grèce Antique.

Destiné à la classe des scribes, juges et fonctionnaires, l’Enseignement de Ptahhotep fut utilisé pour transmettre le bon usage de la parole et éduquer les enfants des lettrés.

Il deviendra un texte fondamental des « sagesses », genre littéraire très prisé durant l’Antiquité égyptienne. D’autres papyrus du même type le suivirent, tout au long de celle-ci.

En savoir plus sur l’Enseignement de Ptahhotep (querelle d’égyptologues)

L’Enseignement de Ptahhotep fait partie du Papyrus Prisse, conservé à la Bibliothèque nationale de France.

Il est composé de deux traités de morale.

Le premier, les Préceptes de Kagemni, (« vizir », ou « préfet » 
des deux rois Houni et Snéfrou) est incomplet.

Le second est l’Enseignement de Ptahhotep. Le support est daté de la XXIIe dynastie (1991 – vers 1785 avant J.-C.). Mais les textes remonteraient à la Ve dynastie, époque florissante et paisible de l’Antiquité égyptienne (2500 - 2300 avant J.-C.).

Certains les font aussi coïncider avec la datation du papyrus, en se basant sur leur formulation et sur l’orthographe…

La tradition qui consistait à répéter les patronymes au fil des générations de dignitaires, additionnée au fait que certains avaient le même nom (sans doute sans même être parent), complique réellement le travail des égyptologues.

En résumé, la datation des textes a donc une inexactitude possible de l’ordre de cinq siècles !…

Quoi qu’il en soit, le Ptahhotep généralement réputé être l’auteur du papyrus aurait été vizir sous le règne du pharaon Djedkarê Isési, aux alentours de 2380 à 2350 avant J.-C..

Mais là encore la contestation demeure et certains égyptologues avancent que ces textes seraient en réalité apocryphes (de signataire inconnu) ou, plus exactement, signés du nom de Ptahhotep dans un but précis : celui de leur conférer plus de poids.

Pour eux, le Ptahhotep auquel le manuscrit renvoie aurait été un « inspecteur de prêtres » et prêtre lui-même, en charge du culte de Maât (divinité conduisant le cosmos et la société). Ces titres donneraient effectivement une valeur conséquente aux paroles rapportées sous son nom, tout en convenant parfaitement à leur nature.

Quoi qu’il en soit encore, le papyrus rapporte que Ptahhotep, souhaitant transmettre à son fils « les paroles de ceux qui jadis ont écouté les conseils des ancêtres qui obéirent aux dieux », demanda au pharaon l’autorisation de mettre par écrit la tradition orale égyptienne.

La réponse du pharaon est rapportée ainsi : « La majesté de ce dieu a dit : Quant à toi, enseigne lui la parole de la tradition ».

Voici la traduction d’extraits du « premier enseignement de la parole parfaite et de l’humilité », suivie de celle d’autres extraits :

Que ton cœur ne soit pas vaniteux à cause de ce que tu connais ; prends conseil auprès de l’ignorant comme auprès du savant, car on n’atteint pas les limites de l’art, et il n’existe pas d’artisan qui ait acquis la perfection.

Une parole parfaite est plus cachée que la pierre verte ; on la trouve pourtant au près des servantes qui travaillent sur la meule.

Suis ton cœur aussi longtemps que tu vis.

Apprends auprès de celui qui est ignorant comme avec le Savant.

Une femme est doublement attachée, si sa chaîne est aimable.

Celui qui transgresse la Loi en portera le châtiment.

Celui qui a obéi devient quelqu’un à qui l’on obéit.

Il n’y a pas d’expert qui soit absolument compétent.

L’Antiquité grecque

Dès les « siècles obscurs » de l’Antiquité grecque (1200-800 av. J.-C.), des recueils ont aussi été constitués. Les proverbes étaient alors appelés paroimia (terme plus proche de « parabole »).

Les paroimia étaient majoritairement d’origine populaire, et vraisemblablement issus à la fois des enseignements égyptiens et de l’importante tradition de fabulistes et chanteurs ambulants.

Ils ont été transcrits par des scribes anonymes, et parfois réutilisés dans l’œuvre d’un lettré plus célèbre. On peut ainsi citer Les Travaux et les Jours d’Hésiode (poète du VIIIe siècle avant J.-C.).

Cette pratique de “récupération” de la tradition a alimenté l’art poétique, choral et théâtral de la Grèce antique.

Par la suite, les érudits byzantins constituèrent à leur tour des recueils en repérant les formules récurrentes dans la littérature grecque.

Ils réunirent sans distinction les sentences littéraires et les proverbes d’origine populaire, ce qui ne facilite parfois pas la tâche de qui cherche l’origine d’une formule.

La Bible

L’Ancien Testament (dont la datation se situe entre 600 et 400 ans avant J.-C.) a réuni les « Proverbes bibliques ».

La Bible hébraïque fut traduite en grec au cours des IIIe et IVe siècles avant J.-C., puis, dès les premiers siècles de la chrétienté, dans plusieurs langues dont le latin, bien sûr.

En savoir plus sur Les proverbes bibliques

Regroupés par livrets dans le « Livre des proverbes » de l’Ancien testament sur trente-et-un chapitres, les proverbes bibliques font partie des « Livres poétiques ».

Les Proverbes de Salomon en constituent la majeure partie. Certains proverbes lui sont directement attribués, d’autres sont « rapportés ». (Salomon, fils de David, fut roi d’Israël. La datation de son règne est difficile à établir car la Bible est la principale source de données et celles-ci restent soumises à l’interprétation du texte.  L’hypothèse la plus courante situe ce règne autour du Xe siècle avant J.-C. mais elle est controversée.)

Les motifs principaux des proverbes bibliques sont la sagesse et sa  transmission. Ils s’attachent à instruire sur les grands thèmes moraux : l’intelligence, le bon sens, la justice, le jugement, l’équité, la bonne manière de vivre. Par ailleurs, ils glorifient Dieu et appellent à son respect.

Empruntant volontiers le registre du commandement, ils se rapprochent de la maxime ou de la sentence. Ils peuvent aussi être plus concrets et emprunter leurs images à la vie de tous les jours.

Certains contiennent un précepte, par exemple, erit Israël, in proverbium, et in fabulam cunctis populis, qui signifie textuellement « Israël sera le proverbe et la fable pour tous les peuples » (souvent traduit par « Israël sera le jouet de tous les peuples »).

D’autres se présentent comme des paraboles ou des énigmes, et l’un d’eux précise que le sage occulta proverbiorum exquiret : « cherchera ce que cachent les proverbes ».

Les neuf premiers chapitres des « Proverbes bibliques » constituent le premier livret, où Salomon s’adresse à son fils et l’exhorte à la sagesse sur un mode lyrique et solennel.

Par exemple : La sagesse, au-dehors, va clamant, le long des avenues elle donne de la voix. / Dominant le tumulte elle appelle ; à proximité des portes, dans la ville, elle proclame : / « Jusqu’à quand, niais, aimerez-vous la niaiserie ? (…) ». Suivent les appels de la sagesse, présentée comme une prophétesse.

Le second livret se nomme « Premier recueil salomonien » et réunit treize chapitres de conseils de sagesse destinés à tous. Ces proverbes, assez courts, sont construits de façon identique : deux propositions qui décrivent le « Bon » et le « Mauvais », souvent en les opposant, ou qui parlent du Seigneur.

Exemples : Un fils sage réjouit son père, un fils insensé chagrine sa mère. ; La langue du juste est un argent de choix, le cœur des méchants ne vaut pas grand chose. ; Des paroles aimables sont un rayon de miel ; C’est doux au palais, salutaire au corps ; Les yeux du Seigneur sont partout, observant les méchants et les bons.

Suivent deux « Livrets des sages ». Ils continuent de prodiguer des conseils moraux, souvent adressés aux fils, et comprennent aussi deux « portraits » : l’ivrogne et le paresseux.

Le cinquième livret est à nouveau un recueil salomonien, attribué aux gens d’Ézéchias, roi de Juda. Il contient des proverbes de style varié.

Certains ne vont pas sans ironie : Mets rarement les pieds chez ton ami, autrement, exaspéré, il te prendrait en grippe. D’autres sont plutôt poétiques : De l’eau fraîche pour une gorge altérée / telles de bonnes nouvelles venues d’un pays lointain.

Le style s’éloigne parfois du lyrisme du recueil attribué à Salomon : Répond au sot selon sa folie / de peur qu’il ne s’imagine être sage ; La porte tourne sur ses gonds et le paresseux sur son lit ; Une gouttière qui coule sans cesse un jour de pluie et une femme querelleuse sont pareilles. Un des proverbes donne des conseils d’économie rurale, éventuellement symboliques. Mais la thématique générale reste celle du Bien et du Mal.

Cette partie aboutit au trentième chapitre, qui comprend deux livrets.

Le premier contient les paroles d’Agour, fils de Yaqè, présentées comme un oracle. Ce texte, sorte de prière, est probablement un emprunt aux sagesses orientales.

Le deuxième réunit les proverbes numériques. Le premier dit : La sangsue a deux filles : Donne, donne… Les huit autres proverbes ne comportent en fait pas tous des nombres. Leurs thèmes n’ont pas de réelle unité, mais restent presque tous sans solennité.

Dans le dernier chapitre et huitième livret, le roi Lemouël rapporte les paroles de sa mère, soit des conseils pour remplir son devoir de souverain et, beaucoup plus longuement, la description de l’épouse idéale : courageuse au travail, mais aussi habile en affaires.

Tous ces recueils égyptiens, grecs, bibliques et byzantins répertorient les ancêtres de certains proverbes encore en circulation aujourd’hui.

L’étymologie

Plusieurs types de spécialistes s’attachent à l’étude des proverbes et de leurs origines : parmi les littéraires, les philologues (c’est-à-dire, littéralement, « ceux qui aiment le discours raisonné »), et surtout, les étymologistes.

Selon son utilisation la plus courante, l’étymologie recherche la filiation et l’origine des mots. Mais, ce faisant, elle tente de dégager leur sens « vrai ». Appliquée aux proverbes, elle étudie donc à la fois leur origine et leur signification.

En savoir plus sur l’étymologie.

♦ Définition générale du terme

Étymologie vient du latin etymologia, lui-même issu du grec etumologia, composé des mots etumos, « vrai », et logos, « discours, raisonnement ». Appliquée à elle-même, l’étymologie est donc littéralement l’étude de la vraie signification du discours.

Elle s’attache ordinairement à la recherche des mots fondateurs dans leur première forme connue, qui recèlent un sens originel, considéré comme « vrai ».

Si l’étymologie moderne s’est réellement développée à partir du XIXe, l‘Encyclopédie de Diderot et d’Alembert lui donnait une valeur importante dès le siècle précédent. Elle disait sa fonction de belle façon :

« C’est l’art de remonter à la source des mots, de débrouiller la dérivaison, l’altération, & le déguisement de ces mêmes mots, de les dépouiller de ce qui, pour ainsi dire, leur est étranger, de découvrir les changemens qui leur sont arrivés, & par ce moyen de les ramener  à la simplicité de leur origine. […] il n’est pas impossible, au milieu de l’incertitude & de la sécheresse de l’étude étymologique, d’y porter cet esprit philosophique qui doit dominer partout, & qui est le fil de tous les labyrinthes. »

♦ L’étymologie et les proverbes

Il peut sembler étonnant que l’étymologie étudie les proverbes, mais le fait est pourtant logique. En effet, elle s’intéresse non seulement aux mots, mais aussi aux locutions (formes figées associant un groupe de mots dont la fonction est soit grammaticale, soit significative, comme « avoir une faim de loup »). Or par leur aspect figé, les proverbes sont par définition des locutions.

L’étymologie recherche donc leurs formulations premières dans le contexte de leurs époques. Elle peut ainsi révéler des significations plus ou moins perdues.

Elle est aussi amenée à se pencher sur toutes sortes de questions : la nature des proverbes (populaire ou littéraire), leurs époques d’apparition, les images qu’ils mettent en scène, les pratiques auxquelles ils se réfèrent…

Retracer les parcours implique un travail de fourmi, consistant à repérer toutes les « occurrences » (les apparitions) des proverbes dans les livres.

La première d’entre elles est appelée « attestation », mais à tout moment, elle peut bien sûr être remise en cause par une occurrence antérieure.

Ses résultats n’aboutissent parfois qu’à des imprécisions, en particulier en ce qui concerne la datation des proverbes populaires, puisque les traces écrites sont parfois très ultérieures à l’usage oral.

La datation des proverbes attribués à des auteurs est bien entendu plus précise. Le travail de l’étymologiste a alors surtout consisté à retrouver ce texte, donc à s’être assuré qu’aucun texte antérieur ne contient la même formule.

Le travail a aussi consisté à juger du bien fondé de l’attribution, car certains auteurs se sont parfois inspirés du « populaire ». Et c’est éventuellement à ce propos qu’une incertitude peut parfois persister.

Connaître l’origine des proverbes renseigne souvent sur les contextes ou les usages précis auxquels ils empruntent leurs images.

On comprend mieux la méfiance du chat échaudé dès lors que l’on connaît l’ancienne pratique de l’échaudage.

Et lorsqu’on sait à quels usages moyenâgeux se réfère On ne peut pas être au four et au moulin, le proverbe prend une force différente.

Lorsqu’il s’agit de mots d’auteurs, les textes dont ils sont tirés enrichissent leur sens. Parfois, comme dans L’amour est aveugle, il y a une vraie latitude entre le sens du texte d’origine et celui du proverbe !

Ce genre de constat est la plupart du temps enrichissant.

On remarque cependant que certains dictionnaires de proverbes se sont attachés à l’étymologie avec plus ou moins de rigueur… Des erreurs se sont parfois répétées jusqu’à nos jours. Mais elles vont le plus souvent de pair avec une anecdote amusante et, en fin de compte, elles restent toujours de l’ordre du plaisir de la langue.

Plaisir de la langue toujours : le travail des étymologistes permet aussi de découvrir d’anciennes formulations. Elles entraînent parfois une évolution des significations premières au fil du temps.

Mais le proverbe reste toujours libre d’être réinterprété, que ce soit pour revenir à son sens premier, rester adapté aux époques, ou pour le simple plaisir des jeux de mots…

Comme la langue, le proverbe est par nature vivant !

La parémiologie

Le XIXe siècle a vu naître une discipline qui porte le nom savant de parémiologie (du grec paroimia : proverbe, et logos : discours raisonné).

Voir l’étymologie complète de parémiologie.

Dans la Grèce antique, le proverbe s’appelait paroimia, et ce terme mérite que l’on étudie de plus près.

Il se décompose en deux mots grecs signifiant « à côté » et « chemin ». Le paroimia aurait donc un autre objet que celui qui apparaît, d’où son fréquent rapprochement avec mot « parabole ».

Mais une autre lecture de « l’à côté du à côté » est possible : on peut laisser sur le bord ce qui présente un écart avec le « bon » chemin.

Paroimia devient alors ce qui est commun, ou non reconnu par « l’autorité » en matière de discours. Et la parémiologie traite alors de ces objets abandonnés au bord du chemin.

Qu’elle désigne le travail de recueil ou d’écriture d’essais, de mémoires, d’articles passés ou actuels, la parémiologie englobe tout ce qui touche à l’étude des proverbes.

Cette discipline est bien sûr largement antérieure au XIXe, puisque les premiers recueils de proverbes datent de l’Antiquité.

Le mot parémiologie en a engendré d’autres : les « parémiologues » qui font de la parémiologie, bien sûr, et les « parémiographes » qui écrivent les recueils de proverbes. Ces derniers peuvent eux-mêmes s’appeler des « parémiologies ».

Histoire de la parémiologie en France

S’ils n’étaient pas encore désignés par ce terme, les copistes et les clercs du Moyen-Âge, période très riche en proverbes, les collectaient déjà et nous ont légué des manuscrits anonymes.

Certains, anonymes comme le Manuscrit de Cambridge, datent du XIIIe siècle. Par la suite, les ouvrages ont été plus souvent signés.

Le proverbe était alors souvent désigné par le mot respit (souffle, discours) ou reprovier (reproche, leçon).

Pourtant, les proverbes du Moyen-Âge étaient largement d’origine populaire et loin d’avoir tous l’aspect d’un discours ou d’un reproche moraux. De fait, un manuscrit conservé à Oxford prend le soin de préciser qu’il compile des respits del curteis et del « vilain »…

Dans les recueils actuels, les proverbes sont parfois suivis d’un nom d’auteur dont on sait parfois difficilement s’il est celui du proverbe, ou d’un recueil précédent. Connaître les parémiographes du passé peut donc éviter une confusion.

Voir les parémiographes du passé.

♦ À partir du XVIe siècle, la liste des auteurs de recueils est longue.

On y découvre des titres d’ouvrage plus ou moins concis, qui sont parfois révélateurs de l’esprit des époques, comme du positionnement de tous ces parémiologues et parémiographes vis-à-vis des proverbes :

• Jean de La Véprie, prieur de Clairvaux, Proverbes CommunsA la fine Cy finissent les proverbes communs qui sont en nombre environ sept cens quatre vingts et deux, 1495 ;

• Érasme, célèbre humaniste et théologien néerlandais, Adages, 1500 ;

• Charles de Bovelles, philosophe français, Proverbium vulgarium libri très, 1531 ;

• Gabriel de Meurier, maître de langues, Notables Enseignements, Adages et Proverbes, 1568, Thresor de Sentences dorées, proverbes et dicts communcs, réduits selon l’ordre alphabeticque. Avec le Bouquet de Philosophie morale, réduit par Demandes et Responses, 1578 ;

• Étienne Pasquier (1529-1615), homme d’État, historien, humaniste, poète et juriste français, Recherches de la France, 1580 ;

• Ian Antoine de Baif, poète, Les Mimes, enseignemens et proverbes, 1597, (au XVIIe siècle, on jouait à mimer des proverbes) ;

• Antoine Loysel, juriste, enseignant et spécialiste du droit, Institutes coutumières, 1607 ;

• Randle Cotgrave, philologue anglais, A Dictionarie of the French and English tongues, « Un dictionnaire des langues françaises et anglaises », 1611 ;

• Antoine Oudin, linguiste, secrétaire et interprète du roi Henri IV, Curiositez françoises, 1649 ;

• Fleury de Bellingen, grammairien et enseignant, Explication des Proverbes François, 1656, Les Illustres Proverbes Historiques Ou Recueil De Diverses Questions Curieuses Pour Se Divertir Agréablement Dans Les Compagnies, 1562 ;

• Philibert Joseph Le Roux, lexicographe, Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial (1718) ;

• André-Joseph Panckouke, écrivain et éditeur, Dictionnaire des Proverbes François, et des Façons de Parler Comiques, Burlesques et Familières, &c. Avec l’explication, et les étymologies les plus avérées (1748) ;

• L’abbé Tuet, Matinées sénonoises ou Proverbes françois (1789).

♦ Le XIXe siècle a vu naître un nombre considérable de dictionnaires de proverbes.

Au-delà de leur travail de collecte, les auteurs tentent d’y analyser les proverbes et d’aboutir à des catégories. Certaines de leurs hypothèses, assez fantaisistes, relèvent parfois plus du subjectif que d’une approche rigoureuse… Tous s’inspirent les uns des autres, et se sont même parfois copiés sans vergogne.

Parmi les ouvrages les plus célèbres, on peut citer :

• Le Dictionnaire des proverbes français, de Pierre Antoine Leboux de La Mésangère (1821) ;

• Le Nouveau Dictionnaire proverbial, satyrique et burlesque plus complet que ceux qui ont paru jusqu’à ce jour, à l’usage de tout le monde, d’Antoine Caillot (1826) ;

• L’Histoire générale des proverbes, adages, sentences, apophthegmes, dérivés des mœurs, des usages, de l’esprit et de la morale des peuples anciens et modernes, de M. C. de Méry (1828) ;

• Le Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française, de Pierre-Marie Quitard (1842) ;

Le Livre des proverbes français d’Antoine Le Roux de Lincy (1842).

(Pour des œuvres parémiologiques actuelles, voir la rubrique Bibliographie.)

La mission de conservation

La parémiologie a permis de fixer cette sagesse populaire, orale (et donc fondamentalement vivante et instable), qui semble avoir toujours suscité l’intérêt des lettrés.

La précarité de l’oralité était aggravée par l’origine souvent plus rurale que citadine des proverbes et la population rurale, longtemps illettrée, ne pouvait guère assurer sa conservation écrite…

Ainsi, bien des proverbes sont parfois restés régionaux. Mais à parcourir tous ceux qui passent par des images agricoles, animales ou végétales, on comprend tout de suite la place qu’ils occupaient dans la vie paysanne.

Ils sont souvent aussi parlants qu’amusants !

Voir quelques proverbes du monde rural.

Une petite mouche fait péter un bel âne.

Où la chèvre est liée, il faut qu’elle broute.

Il y a plus de paille que de grain.

Le semer et la moisson, ont leur temps et leur saison.

Mauvaise herbe croît volontiers.

Il faut lier à son doigt l’herbe qu’on connaît.

À chemin battu, il ne croît point d’herbe.

Chaque moulin tire l’eau à lui.

Chaque vin a sa lie.

À âne rude, rude ânier.

Couteau qui ne fait pas le tour du tronc ne coupe pas le chou.

Vieux bœuf fait sillon droit.

Le cheval qui traîne son lien n’est pas échappé.

Il n’est ni femme, ni cheval, ni vache, qui n’ait toujours quelque tâche.

Quand on tient la poule, il faut la plumer.

Chaque poule vit de ce qu’elle gratte.

Ne comptez pas les œufs dans le derrière d’une poule.

Coq chante ou non, viendra le jour.

Aux cochons la merde ne pue point.

On n’engraisse pas les cochons avec de l’eau claire.

Il faut tondre les brebis et non pas les écorcher.

Autant meurt veau que vache.

L’avoine fait le cheval.

Si tu aimes le miel, ne craint pas les abeilles.

Les coucous ne font pas des merles.

On crie toujours le loup plus grand qu’il n’est.

Le loup change de poil, mais non de naturel.

D’un petit gland sourd, un grand chêne.

Les recueils ont aussi permis de fixer l’évolution des formulations, car certains proverbes ont eu de très nombreuses variantes.

On peut citer le cas de Chat échaudé craint l’eau froide, dont le nombre d’avatars est si grand qu’il en devient comique.

Voir 43 variantes de ce proverbe !

NB :
Iaue, eve, eaue, eue, ewe, aue et vaue = eau ;
Crient, crent, creint et crain = craint ;
Eschaudez, eschaudé et eschauldé = échaudé.

Eschaudez iaue crient (1180)

Echaudés eve crent (fin du XIIe s.)

Eschaudez est, chaude iaue crient (1231)

Chat eschaudez iaue creint (XIIIe s.)

Eschaudez d’eaue chaude crient (XIIIe s.)

Chaz eschaudez chaude eaue crient (XIIIe s.)

Eschaudez eaue creint (XIIIe s.)

Eschaudez eue crient (XIIIe s.)

Escaude eve crent (XIIIe s. dans le Roman de Renart)

Eschaudé ewe chaude crient (XIIIe s.)

Eschaudez doit eve doter (1277, l’échaudé doit redouter l’eau)

Eschaudé eve chade crient (1279, « chade » = chat)

Eschaudez eve creint (fin du XIIIe s.)

Eschaudé eaue chaude craint (1317)

Eschaudez chaude yaue crient (1317)

Eschaudé ewe creint (milieu du XIVe s.)

Eschauldés craint eaue chauffée (1370)

Eschaudés par droit va le feu redoubtant (1384, l’échaudé par droit redoute le feu)

Caz eschaudez craint eaue jour et nuit (1407, chat échaudé craint l’eau jour et nuit)

Eschaudez yaue craint (1407)

Eschaudés craint eaue jour et nuit (après 1407)

Chaude yaue craint cilz qui a esté ars (après 1407, il craint l’eau, celui qui a été brulé)

Chat eschauldé resoigne la chauldiere (1522, chat échaudé redoute la chaudière)

Le chien eschauldé de aue chaulde a peur de la froide (1562, chat écaudé par l’eau chaude a peur de la froide)

Eschaudé doibt chaleur craindre (1568)

Chien une fois eschaud /D’eau froide est intimidé (1578, eschaud = échaudé)

Le chat une fois eschaudé craint l’eau froide (1584)

Chien échaudé l’eau froide creint (1597)

Chien eschaudé craint l’eau froide (1611)

Chat eschaudé craint l’eau froide (1611)

Le chien eschaudé de l’eau chaulde a peur de la froide (1612)

Chien eschaudé crain l’eau froide (1617)

Un chat échaudé craint l’eau froide (1618)

Chat échaudé craint l’eau froide (1633)

Chien échaudé craint la cuisine (1652)

Chien eschaudé ne revient plus en cuisine (1690)

Chat échaudé craint la cuisine (1690)

Chien échaudé ne revient plus en cuisine (1710)

Chien échaudé ne revient pas en cuisine (1808)

Chat échaudé ne revient pas en cuisine (1842)

Chien échaudé craint l’eau froide (1872)

Chat échaudé craint même l’eau froide (1892)

Chat échaudé craint l’eau chaude (1924)

De nos jours, on édite toujours des parémiologies, qu’elles soient destinées aux amateurs, aux spécialistes ou encore aux enfants.

De fait, la conservation des proverbes se trouve d’autant plus menacée que les exodes modernes et les modes de vie actuels nous éloignent de certaines de leurs sources : la ruralité, mais aussi les anciennes générations, principales détentrices de la mémoire orale.

Cet effacement progressif va de pair avec certains mélanges et détournements, parfois involontaires. Mais on élabore désormais sciemment de « faux proverbes » dans des buts humoristiques ou commerciaux.

Le faux proverbe fonctionne alors comme un slogan. Il peut devenir absurde, prendre un sens amoral ou opposé à l’original. Dans ce cas, on parle d’antiparémie, autre terme dérivé de « parémiologie ».

Les prolongements de la parémiologie et de l’étymologie

L’Histoire et la sociologie

L’étude des proverbes et de leur origine intéresse beaucoup de domaines des sciences humaines, l’Histoire, bien sûr, mais aussi la sociologie.

Les proverbes sont en effet d’excellents moyens d’analyse des phénomènes sociaux et culturels, en particulier ceux qui sont liés aux représentations collectives, et aux mécanismes plus ou moins conscients qui la fondent.

On peut aussi signaler que les psychothérapeutes utilisent volontiers les proverbes, pour réintégrer leurs patients dans l’appartenance au groupe social.

La linguistique

À cause de leur nature même, faite à la fois de parole et de partage, les proverbes se prêtent à l’analyse de la langue et à sa manière de véhiculer les valeurs communes.

Pour les linguistes, leur mauvaise réputation de porteurs d’une sagesse triviale, démodée, ou quasi ridicule, ne les empêche sûrement pas d’avoir un côté fascinant.

Il est en effet difficile de comprendre comment autant de sens commun et de simplicité apparente continuent de garder cette vitalité, même si on ne les utilise plus aussi souvent que par le passé.

Leur adaptabilité à toutes les circonstances est tout aussi étonnante, de même que leur sens si souvent traduit par des images précises, de l’hirondelle qui ne fait pas le printemps aux souris qui dansent quand le chat n’est pas là.

Un proverbe, de plus, laisse généralement chacun assez libre d’en déduire ce qu’il voudra, et parfois même d’y injecter des significations différentes.

Il peut aussi s’employer sur toute une gamme de tons, du fatalisme le plus noir à l’ironie la plus légère. Cette ouverture ne dépend pas toujours de l’utilisateur du proverbe, mais fait partie de ce qu’il est… Autant de bonnes raisons de passionner les linguistes.

Ils étudient donc les proverbes à de nombreux niveaux, parmi lesquels l’analyse de la construction du discours, la phonétique, la métrique, la poétique, la sémiotique (l’étude des signes et de leurs rapports avec la pensée, donc du rapport entre symbolique et logique) et la sémantique (l’étude du langage du point de vue du sens).

L’anthropologie

Les proverbes supposent implicitement une nature du monde et une nature humaine. Les anthropologues trouvent donc eux aussi une approche de leur secteur d’études dans les proverbes.

Ils représentent pour eux une mise en parallèle du monde social et du monde naturel.

En effet, et a fortiori dans les cultures traditionnelles ou primitives, les formulations passent souvent par les animaux, ou la nature en général, pour imager les messages qui fondent le lien social.

Il y a là une sorte de mythologie spécifique à chaque peuple, dont l’observation peut être pleine d’enseignements pour l’anthropologie.

Conclusion

Étymologistes, parémiologistes, historiens, sociologues, linguistes, anthropologues, le palmarès de l’étude des proverbes ou de leur origine est assez impressionnant.

« Les proverbes ressemblent à des papillons ; on en attrape quelques-uns, les autres s’envolent ».

Ce proverbe allemand dit à la fois l’importance de leur conservation et leur légèreté.

Il montre aussi que même les proverbes s’intéressent à ce qu’ils sont ! Le propre des “grands objets”, si modestes semblent-ils, est peut-être de pouvoir être un miroir pour eux-mêmes ?…

Quoi qu’il en soit, l’intérêt que l’étude des proverbes suscite ne saurait être usurpé.

Depuis l’Antiquité égyptienne, sa permanence à travers les âges ne peut que le confirmer. Et il n’est pas certain que le jeunisme en cours puisse en venir à bout.

Les PROverbes et leurs rubriques sont en tout cas là pour le célébrer !

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