Pour résumer, les proverbes viennent de « l’esprit d’un seul » lorsque, citations ou mots d’auteurs, on les retrouve dans des œuvres, telle l’introduction du Loup et L’agneau de Jean de La Fontaine : La raison du plus fort est toujours la meilleure.
Ils viennent de notre « conscience collective » lorsque, d’origine populaire, ils renvoient aux croyances et comportements que l’on partage depuis des temps parfois immémoriaux…
Les proverbes sont alors d’autant plus des sortes de voyageurs clandestins qu’il faut au minimum être amateur d’histoire pour savoir que c’est au droit féodal du Moyen-Âge que renvoie On ne peut pas être au four et au moulin.
D’un autre côté, ainsi que le montre l’étude des origines, le temps a façonné les proverbes tout au long de leurs longs périples…
Et ils circulaient sans doute avant qu’il n’existe un mot pour les désigner !
Si, aujourd’hui, des citations cohabitent dans les recueils avec d’innombrables paroles du peuple, savoir d’où viennent les proverbes invite à regarder de plus près leurs trajectoires.
Ces dernières sont faites de tant de chemins que, catégorie “populaire” ou “littéraire”, déterminer qui a fait les proverbes est finalement bien plus compliqué que d’ouvrir ces deux catégories comme deux tiroirs…
À elle seule, cette citation du chevalier John Russell (1er baron Russell devenu comte de Bedford, 1485-1555) pourrait résumer le discrédit dans lequel la société érudite a voulu jeter les proverbes au XVIIe siècle.
Ce mépris a d’abord résulté d’une floraison de recueils de proverbes populaires à l’époque du Moyen-Âge et du latin médiéval.
Mais s’il est vrai que certains pouvaient paraître triviaux, amoraux, ou encore de “mauvais goût”, que dire des Proverbes moraux, de Christine de Pisan (autour de 1400), ou de La Ballade des proverbes de François Villon (1458) ?
Voir «La Ballade des proverbes»
Tant gratte chèvre que mal gît,
Tant va le pot à l’eau qu’il brise,
Tant chauffe-on le fer qu’il rougit,
Tant le maille-on qu’il se débrise,
Tant vaut l’homme comme on le prise,
Tant s’éloigne-il qu’il n’en souvient,
Tant mauvais est qu’on le déprise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Tant parle-on qu’on se contredit,
Tant vaut bon bruit que grâce acquise,
Tant promet-on qu’on s’en dédit,
Tant prie-on que chose est acquise,
Tant plus est chère et plus est quise,
Tant la quiert-on qu’on y parvient,
Tant plus commune et moins requise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Tant aime-on chien qu’on le nourrit,
Tant court chanson qu’elle est apprise,
Tant garde-on fruit qu’il se pourrit,
Tant bat-on place qu’elle est prise,
Tant tarde-on que faut l’entreprise,
Tant se hâte-on que mal advient,
Tant embrasse-on que chet la prise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Tant raille-on que plus on n’en rit,
Tant dépent-on qu’on n’a chemise,
Tant est-on franc que tout y frit,
Tant vaut « Tiens ! » que chose promise,
Tant aime-on Dieu qu’on fuit l’Eglise,
Tant donne-on qu’emprunter convient,
Tant tourne vent qu’il chet en bise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Prince, tant vit fol qu’il s’avise,
Tant va-il qu’après il revient,
Tant le mate-on qu’il se ravise,
Tant crie-l’on Noël qu’il vient.
Les lettrés se sont également inquiétés de la profusion de proverbes qui semblait envahir une partie de la littérature, par exemple chez Rabelais (Pantagruel, 1534, Gargantua, 1535) ou Cervantès (Don quichotte, publié en deux parties, en 1605 et 1615).
Du XVIe au XVIIIe siècle, beaucoup d’auteurs se sont ainsi appliqués à distinguer les sentences et maximes dignes d’intérêt des proverbes populaires et « traînés dans les ruisseaux des halles ».
Mais encore faut-il savoir que cette citation parfois utilisée sous un angle critique dans des ouvrages du XVIIe est de Molière (1622-1673), auteur proche du peuple s’il en est.
Dans Les Femmes Savantes (1672), il se moquait des faux savants, de leurs faux savoirs pédants, et faisait dire à sa Philaminte : « J’ai l’oreille au supplice des proverbes traînés au ruisseau des halles ». C’était donc de la dérision.
En savoir plus sur la critique des proverbes populaires
À la suite de la Renaissance, le proverbe a été considéré comme une forme d’expression beaucoup trop en décalage avec l’évolution du goût en littérature, car incapable de traduire le « délicat ».
Adrien de Montluc, dans sa Comédie des proverbes (1616), les ridiculise en les transcrivant comme une suite ennuyeuse ;
Vaugelas, dans ses Remarques sur la langue françoise (1647), s’insurge contre eux au point de proscrire le terme « proverbe » dans cet ouvrage ;
Le père Bouhours écrit qu’ils sont particulièrement roturiers et que « les sentences sont les proverbes des honnêtes gens comme les proverbes sont les sentences du peuple ».
Au XVIIe siècle, sentences et maximes commencèrent à fleurir, elles voulaient en quelques sortes reprendre du terrain aux proverbes, en s’en distinguant et en instaurant une hiérarchie.
Parmi d’autres nombreux ouvrages, on peut citer :
• Les réflexions ou Sentences et Maximes morales, La Rochefoucauld (1665) ;
• Maximes Sentences et Réflexions, le chevalier de Méré (1687) ;
• La Manière de bien penser, le père Bouhours (1687) ;
• Maximes morales et politiques, dédicacé à Mme de Maintenon par Vernace (1690) ;
• Anciens historiens réduits en maximes, Corbellini (1694) ;
• Maximes chrétiennes et morales, Rancé (1698) ;
• Sentiments et Maximes, Saint-Evremond (1698).
Au XVIIIe, les philosophes du « siècle des lumières » ont fait perdurer la supériorité des sentences littéraires sur les proverbes populaires.
Et Antoine Furetière, auteur d’un dictionnaire publié en 1690, en Hollande pour absence d’autorisation royale (!), grogne contre les académiciens :
« Messieurs [qui] croient qu’ils ont assez de crédit pour changer la Langue, et pour mettre les proverbes en regne et dans le haut-stile, puisque la meilleure partie de leur Dictionnaire en est composée ; de sorte qu’au lieu que l’Academie devoit faire passer le langage de la Cour dans la Ville, elle fera passer celui du peuple dans la Cour ».
Il a fallu attendre le XIXe et tous ses grands dictionnaires de proverbes pour que d’autres érudits leur donnent une place officiellement reconnue.
Ils ont simultanément essayé de distinguer proverbes, sentences, maximes et adages… La « lutte » entre mauvais proverbes et bonnes sentences ayant sans doute un peu embrouillé les esprits !
Mais, en 1826, cela n’a pas empêché Antoine Caillot de détourner à nouveau la citation de Molière en définissant le proverbe ainsi, dans son Nouveau Dictionnaire proverbial :
« Les proverbes sont des sentences exprimées en peu de mots, qui renferment des vérités confirmées par l’expérience des siècles. On en distingue de trois espèces. Dans la première sont compris les principes généraux de la morale, énoncés dans un style précis et dogmatique ; tels sont les proverbes de Salomon. La seconde espèce consiste dans certaines expressions, dont le sens est si naturel et si clair, qu’elles restent pour toujours gravées dans la mémoire. On en trouve un grand nombre dans Molière et autres anciens auteurs dramatiques. La troisième espèce offre un jargon trivial dont le peuple se sert pour exprimer des idées vraies qu’il doit à ses propres réflexions ou à une vieille tradition. C’est cette dernière espèce à laquelle Molière a donné le nom de proverbes traînés dans les ruisseaux des halles. »
Ce proverbe suédois invite à penser aux nombreux proverbes qui, d’origine orale, sont tirés de l’expérience et de la sagesse populaire. Mais il invite aussi à penser à ce qui fait la genèse des proverbes d’auteurs…
D’un côté, le rôle d’un écrivain est d’observer, analyser et finalement exprimer ce qu’il voit ou entend, et éventuellement dans le peuple, pour reprendre la citation du Baron Russel.
Mais, de l’autre, même lorsque l’origine d’un proverbe est attestée et attribuée à un auteur, qui pourra définir l’origine des mots qu’il s’est s’approprié ?
Voir l’exemple d’un proverbe dont l’origine semble attesté…
« L’argent ne fait pas le bonheur (mais il y contribue) » se trouve dans Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. La Marquise de Merteuil y écrit, dans une correspondance : « J’avoue bien que l’argent ne fait pas le bonheur ; mais il faut avouer aussi qu’il le facilite beaucoup. »
Mais comme on sait que, entre autres raisons, Laclos a écrit ce livre pour se venger d’humiliations que des d’aristocrates lui avaient fait subir, qui pourra dire dans quelle bouche aristocratique il aura peut-être entendu ce trait, avant de le mettre sous la plume de sa Marquise de Merteuil ?
Quant à Jean de La Fontaine et à tous les proverbes qui lui sont attribués…
L’auteur est le premier à avoir reconnu que ses fables s’inspiraient non seulement des fables de Phèdre (poète latin, vers 18-50), mais, avant eux, de celles d’Ésope (VIIe-VIe siècle avant J.-C.).
Or, concernant Ésope, on sait que ses fables se sont transmises oralement et n’ont été recueillies qu’à partir du IVe siècle avant J.-C.. Au cours de deux siècles entiers, qui les aura remaniées oralement ?
L’invention « pure » demeure une question qui reste ouverte au débat !
Et lorsqu’on étudie l’origine des proverbes, on découvre le fait suivant : les auteurs de proverbes se sont très souvent inspirés des proverbes populaires, parfois même à travers le travail de scribes anonymes qui les avaient collectés précédemment.
Les proverbes de l’Orient archaïque ont été colportés par les nombreux chanteurs ambulants de l’époque. L’un deux les transcrivit, sans même y apposer son nom.
Puis, en bout de chaîne, Hésiode (poète grec du VIIIe siècle avant Jésus-Christ) les a inclus dans son œuvre Les travaux et les jours. Des paroles d’origine populaire ont ainsi trouvé une appartenance littéraire et un auteur.
Théâtre, textes choraux (chants lyriques ou chansons plus modestes) et littérature : divers sont les types d’écrits auxquels le proverbe a accédé, en suivant ce processus.
En définitive, partant à la fois du fond des temps et de “la foule”, le chemin qui fait finir un proverbe populaire en mot d’auteur est long.
La tournure de ces mots est bien sûr déterminante pour qu’une simple phrase devienne un proverbe. Il est donc naturel que le mérite de la formulation revienne parfois à des auteurs de façon incontestable.
Ainsi, la maxime latine du Pape Boniface VIII (1235-1303) : qui tacet consentire videtur, « qui se tait, consent » a pu être assez percutante pour que le “peuple” s’en empare et la fasse circuler sous sa forme Qui ne dit mot consent.
Il en est de même de « Impossible n’est pas français », phrase de Napoléon Bonaparte qui fait partie de ces quelques proverbes venant de personnalités qui à un moment, souvent historique, ont eu le génie d’une formule.
Voir l’origine précise du proverbe de Bonaparte.
Répondant au Général Jean Lemarois, qui jugeait la défense de la ville de Magdebourg impossible, Napoléon Bonaparte lui aurait écrit : « Ce n’est pas possible, m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »
Il est par ailleurs à noter que la famille de ces proverbes « historiques » est assez peu fournie.
Mais, dans ces deux cas, le Pape et Napoléon ont-ils écrit des proverbes, ou leurs mots ont pris ce statut grâce à l’usage qui en a été fait ?
La définition du proverbe lui-même tranche sans doute la question : les dictionnaires nous disent qu’un proverbe doit être partagé par tout un groupe social.
L’auteur garde, bien sûr, le mérite de la formulation en question : celle d’un message suffisamment synthétique, universel, et… plaisant. Pourtant, cela suppose aussi un autre mérite : celui d’une compréhension de l’homme assez juste pour que tous, érudits ou pas, s’y reconnaissent.
Enfin, il est à noter qu’il y a assez souvent confusion entre proverbe et citation d’auteur. L’un et l’autre peuvent néanmoins se reconnaître…
Le proverbe doit délivrer un message concernant l’humain, de façon généraliste et pour ainsi dire “détachée”. Il ne peut donc, entre autres, jamais utiliser le mot « je », ni traiter d’autre chose que l’Homme, sa nature, sa condition, son destin.
D’un autre côté, il circule des citations qui, d’évidence, auraient pu devenir proverbes. Si cela n’a pas été le cas, est-ce parce que le peuple ne s’en sera pas assez emparé ?
Voir des exemples de citations qui auraient pu devenir des proverbes.
De La Fontaine :
Tout est mystère dans l’amour.
Mots dorés en amour font tout.
Tout l’univers obéit à l’amour ; Aimez, aimez, tout le reste n’est rien.
Jamais un lourdaud, quoi qu’il fasse, ne saurait passer pour galant.
Il ne faut jamais se moquer des misérables, car qui peut s’assurer d’être toujours heureux.
De Victor Hugo :
Si l’on n’est pas sensible, on n’est jamais sublime.
Le génie de notre langue est la clarté.
Notre tempérament fait toutes les qualités de notre âme.
Les proverbes littéraires comme les populaires naissent de l’observation.
Auteurs comme peuple sont influencés par le contexte dans lequel ils baignent. Mais lorsqu’un auteur écrit un proverbe, il fixe une pensée qui dépasse ce contexte et tend vers l’intemporel.
Si tous les proverbes sont issus d’une analyse de l’expérience, les uns proviennent de constats assez spontanés, les autres sont évidemment issus d’une approche intellectuelle. Mais il semble que, plus d’une fois, ces deux types de fonctionnement puissent produire des conclusions analogues.
Formellement, les proverbes d’origine populaire et littéraire n’ont pas toujours de différences très marquées. L’un et l’autre s’expriment a priori sur le même mode : ils affirment une vérité. Ils présupposent cette fameuse “nature de l’homme”.
Pour nous aider à les distinguer, ceux issus de l’oralité jouent bien sûr plus souvent sur les sons. Et leurs images se référent volontiers aux pratiques usuelles.
Les proverbes littéraires seront plus volontiers dégagés des images de la vie concrète. C’est le cas de beaucoup de proverbes de Montaigne.
Par ailleurs, la formule des auteurs doit être concise, et si possible débarrassée de ce qui pourrait la rattacher à un registre trop érudit. Sinon, elle risque de rester une phrase écrite qui ne passera en proverbe, puisque celui-ci est destiné à l’oral.
Cela explique que certains mots d’auteur, bien qu’estampillés proverbes, restent méconnus. Comme certains proverbes de Montaigne, d’ailleurs…
Enfin, bien que les proverbes littéraires soient volontiers plus philosophiques ou moralisateurs que les populaires, le contenu des uns converge assez souvent vers les autres.
On a donc parfois du mal à présager de l’origine d’un proverbe, et seul un retraçage patient de son parcours à travers l’Histoire peut alors déboucher sur son “classement”.
Pour finir par une pirouette, on peut aussi se poser une autre question : les proverbes populaires ne pourraient-ils pas, à l’origine, être le fait d’un individu ? Resté inconnu, et n’ayant produit son mot qu’à l’oral…
Un fabuliste, un chanteur des temps anciens, mais pourquoi pas aussi un paysan inspiré ?
Expérience d’homme du peuple ou fruit d’analyse d’auteur, les proverbes reposent quoi qu’il en soit sur l’observation et la compréhension de l’Homme. Leur consécration se matérialise par l’envie de répéter des mots « bien trouvés ».
Et, proverbe arabe, « Les proverbes sont les lampes des mots » !
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