Pourtant, en particulier sur le Web, la recherche aboutit souvent plutôt à des citations. Pourquoi ?…
Sans doute parce que citations et proverbes sont parfois mélangés même dans les recueils, et que ce qui les différencie est mal pris en compte.
Le proverbe délivre un message concernant l’Homme, mais n’importe quel énoncé sur ce vaste sujet ne peut pas être un proverbe.
Il faut que la formulation résume une vérité, et il est indispensable qu’elle s’exprime comme une affirmation valant pour tous, sans aucune trace d’implication personnelle. Le « je » est ainsi banni des proverbes. De plus, un bon proverbe contient toujours un sens plus ou moins caché. Il est adaptable à des situations variées.
La citation, par nature, fait souvent partie d’un texte, ou d’une réflexion plus ample que ce qu’elle exprime. Elle est donc généralement plus partielle qu’un proverbe. Elle peut impliquer son auteur. Elle est la plupart du temps une citation trop circonstanciée ou précise dans son propos pour prétendre être un proverbe…
Cependant, on peut remarquer que beaucoup de citations auraient pu devenir des proverbes : « Un proverbe est l’esprit d’un seul et la sagesse de tous », citation du chevalier John Russell, par exemple, ou « Mots dorés en amour font tout », citation de La Fontaine qui, précisément, a produit tant de proverbes.
Pourquoi est-ce que cela n’a pas été le cas ? Est-ce parce que le peuple ne se sera pas assez emparé de ces citations pour les faire circuler et les rendre « proverbiales » ?
De temps en temps, il arrive donc qu’on puisse se dire que tel auteur ne semble pas avoir écrit tant de proverbes, en définitive… Et l’on peut aussi se demander si la majorité de nos proverbes ne proviendrait pas de la fameuse « sagesse populaire » anonyme !
Le penser est d’autant plus tentant que plus d’un proverbe attesté d’une origine d’auteur reprend en réalité une ancienne parole… Qui n’appartient à personne.
Les proverbes de l’Orient archaïque ont été colportés par les chanteurs ambulants. L’un deux les transcrivit, sans même y apposer son nom. Puis, en bout de chaîne, Hésiode, poète du VIIIe siècle avant J.-C., les a inclus dans son œuvre Les travaux et les jours.
La Fontaine s’est inspiré des fables d’Ésope (VIIe-VIe siècle avant J.-C.). Mais les fables d’Ésope se sont transmises oralement pendant deux siècles avant d’être recueillies par écrit. Pendant plus de 200 ans, qui les aura formulées et reformulées oralement ?
Cependant, plusieurs écrivains ont bel et bien trouvé les mots qui composent des proverbes, bien sûr, le plus célèbre étant Jean de La Fontaine.
Nous ne prétendrons pas les avoir tous recensés, et nous vous invitons à participer à cette rubrique. Mais il faut cependant être sur ses gardes…
D’une part, beaucoup d’auteurs se sont inspirés les uns des autres, d’autre part, des proverbes sont parfois attribués à des auteurs de façon trop hâtive.
C’est par exemple le cas de Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier parfois accordé par erreur à Cervantès ou de L’appétit vient en mangeant souvent attribué à Jacques Amyot alors que Rabelais avait utilisé l’expression plus de 30 ans auparavant.
Tâche non moins difficile : il faut aussi essayer de distinguer proverbes de maximes (ou sentences). Un certain nombre d’écrivains du XVIIe siècle, dont La Rochefoucauld, n’auraient peut-être pas apprécié qu’on les range dans les auteurs de « proverbes ».
Leur production fut en effet en bonne partie destinée à lutter contre ce qu’ils jugeaient bien trop vulgaire, et à opposer aux vils proverbes de nobles sentences érudites…
En savoir plus sur La Rochefoucauld, ses sentences et maximes…
François VI, duc de la Rochefoucauld (1613-1680) faisait partie de l’une des plus illustres familles de la noblesse française. Jouissant des faveurs de Louis XIV, il put se consacrer à l’écriture, il devint moraliste et mémorialiste.
Ses œuvres sont : Mémoires, Maximes, Réflexions ou Sentences et Maximes, Maximes et réflexions diverses.
Les sentences et maximes de La Rochefoucauld s’énoncent comme des vérités, elles en ont l’intention évidente. Elles procèdent d’un mélange savamment dosé de cynisme et de morale, s’expriment toutes de façon très assurée.
Ces formules tiennent de l’aphorisme, le but étant clairement de faire de l’esprit par le seul contenu explicite.
Quelques exemples :
• Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie par nos défauts que par nos qualités.
• Les amitiés renouées demandent plus de soins que celles qui n’ont jamais été rompues.
• La reconnaissance de la plupart des hommes n’est qu’une secrète envie de recevoir de plus grands bienfaits.
• Il est plus aisé d’être sage pour les autres que pour soi-même.
• Ce qui rend la vanité des autres insupportable, c’est qu’elle blesse la nôtre.
• La vertu n’irait pas si loin, si la vanité ne lui tenait pas compagnie.
• On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices, mais on méprise tous ceux qui n’ont aucune vertu.
• Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs.
• On croit parfois haïr la flatterie, mais on ne hait que la manière de flatter.
• Le bon goût vient plus du jugement que de l’esprit.
• Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons.
• Un homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot.
• Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent.
• La jeunesse est une ivresse continuelle ; c’est la fièvre de la santé ; c’est la folie de la raisons.
• Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.
• On est quelquefois sot avec de l’esprit, mais on ne l’est jamais avec du jugement.
• Il n’y a qu’une sorte d’amour, mais il y a mille différentes copies.
• Il faut tenir à une résolution parce qu’elle est bonne, et non parce qu’on l’a prise.
• Il faut écouter ceux qui parlent, si on veut en être écouté.
• Il ne sert à rien d’être jeune sans être belle, ni belle sans être jeune.
• L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.
• L’enfer des femmes, c’est la vieillesse.
Voir la critique des proverbes populaires dont La Rochefoucauld a fait partie.
À la suite de la Renaissance, le proverbe a été considéré comme une forme d’expression beaucoup trop en décalage avec l’évolution du goût en littérature, car incapable de traduire le « délicat ».
Adrien de Montluc, dans sa Comédie des proverbes (1616), les ridiculise en les transcrivant comme une suite ennuyeuse ;
Vaugelas, dans ses Remarques sur la langue françoise (1647), s’insurge contre eux au point de proscrire le terme « proverbe » dans cet ouvrage ;
Le père Bouhours écrit qu’ils sont particulièrement roturiers et que « les sentences sont les proverbes des honnêtes gens comme les proverbes sont les sentences du peuple ».
Au XVIIe siècle, sentences et maximes commencèrent à fleurir, elles voulaient en quelques sortes reprendre du terrain aux proverbes, en s’en distinguant et en instaurant une hiérarchie.
Parmi d’autres nombreux ouvrages, on peut citer :
• Les réflexions ou Sentences et Maximes morales, La Rochefoucauld (1665) ;
• Maximes Sentences et Réflexions, le chevalier de Méré (1687) ;
• La Manière de bien penser, le père Bouhours (1687) ;
• Maximes morales et politiques, dédicacé à Mme de Maintenon par Vernace (1690) ;
• Anciens historiens réduits en maximes, Corbellini (1694) ;
• Maximes chrétiennes et morales, Rancé (1698) ;
• Sentiments et Maximes, Saint-Evremond (1698).
Au XVIIIe, les philosophes du « siècle des lumières » ont fait perdurer la supériorité des sentences littéraires sur les proverbes populaires.
Et Antoine Furetière, auteur d’un dictionnaire publié en 1690, en Hollande pour absence d’autorisation royale (!), grogne contre les académiciens :
« Messieurs [qui] croient qu’ils ont assez de crédit pour changer la Langue, et pour mettre les proverbes en regne et dans le haut-stile, puisque la meilleure partie de leur Dictionnaire en est composée ; de sorte qu’au lieu que l’Academie devoit faire passer le langage de la Cour dans la Ville, elle fera passer celui du peuple dans la Cour ».
Il a fallu attendre le XIXe et tous ses grands dictionnaires de proverbes pour que d’autres érudits leur donnent une place officiellement reconnue.
Ils ont simultanément essayé de distinguer proverbes, sentences, maximes et adages… La « lutte » entre mauvais proverbes et bonnes sentences ayant sans doute un peu embrouillé les esprits !
Durant l’Antiquité romaine, beaucoup d’écrivains, poètes et philosophes ont émaillé leurs écrits d’expressions bien concises, parfois même lapidaires. Elles étaient par nature destinées à devenir des repères et à être réutilisées, à l’oral comme à l’écrit.
Ces formules sont répertoriées sous l’appellation de sentences et les recueils regroupent aussi bien des locutions proverbiales que de simples expressions de langage. Ces sentences ont fait l’objet de recueils à l’époque byzantine.
Plusieurs proverbes français célèbres en sont les descendants, et les écrivains latins suivants sont considérés comme les auteurs de plusieurs de nos proverbes actuels…
♦ Térence, poète (vers 190 av. J.-C., 159 av. J.-C.)
♦ Juvénal, poète satirique (vers 55-130 après J.-C.)
Voir le vers dans son contexte.
Lucri bonus est odor ex re Qualibet.
Illa tuo sententia semper in ore
Versetur, dis atque ipso Jove digna, poetae :
Unde habeas quaerit nemo sed oportet habere.
Le gain sent toujours bon, de quelque part qu’il vienne.
Ce beau vers d’Ennius, que ton cœur le retienne ;
Il est digne des dieux : On ne veut pas savoir
D’où vous vient votre argent ; mais il faut en avoir.
(Traduction de L. V. Raoul, 1812)
♦ Ovide, poète (43 av. J.-C., 17 ap. J.-C.)
♦ Plutarque, philosophe (vers 46, 125)
♦ Phèdre, fabuliste (vers 15-50 après J.C.) a inspiré la plupart des fables de La Fontaine.
Mais il faut savoir qu’il s’est lui-même inspiré d’Ésope (VIIe – VIe avant J.-C.), fabuliste grec assez dont on ne sait presque rien.
La fable, souvent brève, toujours imagée et porteuse d’une morale est proche du proverbe en bien des points, d’autant qu’à l’origine, et donc du temps d’Ésope, elle était racontée oralement.
En savoir plus sur Ésope et les fables.
Le nom d’Ésope, Αἴσωπος signifie : a- privatif + iso- égal + pod- pied, soit : boiteux.
D’après Plutarque, c’était un esclave (boiteux, donc) et un prisonnier de guerre.
Ses fables se sont transmises oralement et n’ont été recueillies qu’à partir du IVe siècle avant J.-C..
Il est impossible de savoir s’il fut créateur ou simple « illustrateur » de proverbes, sans doute un peu les deux à la fois, mais il est certain que ses fables ont eu une influence majeure.
Courts récits qui reformulent et transmettent, les fables illustrent et transmettent une morale, une règle de vie. Elles portent parfois le nom savant d’apologues.
Il semble que le genre littéraire s’est éteint avec Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) qui publie ses Fables en 1792.
La Fontaine est incontournable, car si un palmarès des auteurs de proverbes devait être établi, il arriverait probablement le premier !
Il est sans doute intéressant de réaliser que, apprises par cœur par des légions d’enfants à l’école primaire, ses fables ont forcément marqué d’innombrables mémoires. Cela n’a pu qu’aider les proverbes de La Fontaine à devenir fameux !
Par ailleurs, tout le monde ou presque le sait : La Fontaine a “seulement” reformulé les œuvres d’Ésope, auteur grec. Il le dit d’ailleurs lui-même dans sa Dédicace de la première édition des fables.
Voir l’hommage de La Fontaine à Ésope.
DÉDICACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DES FABLES À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons.
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes ;
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.
ILLUSTRE REJETON D’UN PRINCE aimé des Cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d’une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t’entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures.
Et, si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.
Reconnaissons-lui le talent de ses formulations rimées, puisque les fables d’Ésope étaient en prose.
Voir la biographie de Jean de La Fontaine (1621-1695)
Il est né le 7 ou le 8 juillet 1621 à Château-Thierry dans une famille bourgeoise. Son père est maître des eaux et forêts, sa mère, fille du bailli de Coulommiers.
Après avoir fait des études à Château-Thierry puis à Reims, il entre au séminaire avant de prendre conscience qu’il n’a pas la vocation.
Il décide de faire des études de droit à Paris, avec Antoine Furetière (auteur de l’ouvrage qui est considéré comme le premier dictionnaire de langue française) pour condisciple, et est reçu au barreau en 1649.
Par la suite, il plaide peu, préférant écrire des vers. En 1647, il se marie et reprend la charge de son père. Puis il est présenté en 1658 au surintendant Fouquet qui l’attire à Vaux et lui verse une pension. Il s’acquitte alors de sa tâche et écrit diverses poésies, des « vers de redevance ».
Lors de la disgrâce de Fouquet (1661), il sollicite courageusement la grâce de son protecteur au roi. Il part quelques temps dans le Limousin, puis, de retour à Paris, il devient en 1664 « gentilhomme servant » de la duchesse douairière d’Orléans. Il se lie avec Molière, Racine et Boileau, fréquente chez la duchesse de Bouillon pour qui il écrit les premiers Contes (1665).
Il publie le premier recueil des Fables en 1668, puis un roman en prose et vers Les Amours de Psyché et de Cupidon. Après la mort de la duchesse d’Orléans, il devient le familier de Mme de la Sablière. Il continue d’écrire, notamment Daphné, livret d’opéra pour Lully en 1674 et publie le deuxième recueil de Fables (1678).
Il est élu à l’Académie française en 1684 et prend parti pour les Anciens lors de la querelle des Anciens et les Modernes. Il se convertit en 1693, publie le dernier recueil de Fables (le Livre XII) en 1694. Il meurt à Paris le 13 avril 1695.
La Fontaine a abordé tous les genres de son époque : poésie (dizains, sizains, chansons, madrigaux, ballades, épîtres, élégies, odes), théâtre (comédies, livrets d’opéra, églogues, ballades), satires, romans en prose et vers, et même un récit de voyage par lettres.
Sa première publication en 1654 est L’Eunuque, traduction d’une pièce de Térence. Il publie les Contes et Nouvelles en vers de 1665 à 1686 et les douze livres des Fables de 1668 à 1694.
Médecin, écrivain et humaniste (v. 1483-1553), Rabelais est notamment l’auteur des célèbres Gargantua et Pantagruel. Il pourrait sans doute arriver deuxième au palmarès des auteurs de proverbes français.
Il parlait italien, latin, grec, hébreu, arabe… Outre la médecine, il a étudié la théologie, le droit, l’architecture, la botanique, l’archéologie, l’astronomie ! Algèbre, frise, escorte, gymnastique, bénéfique, indigène, frugal, chahuter (…) : il a nourri la langue française de quelque huit cents mots, mais aussi de nombreuses expressions et proverbes !
Les paroles s’envolent, les écrits restent !
Ce proverbe latin dont le sens se rapproche de Nescit vox missa reverti, « Le mot publié ne revient plus » d’Horace (65-8 avant J.C.) nous invite à rendre hommage aux auteurs…
Pour ne citer qu’eux, les papyrus égyptiens, babyloniens ou Le livre des proverbes de l’Ancien Testament n’ont rien fait d’autre que d’immortaliser des paroles qui, sans eux, auraient pu s’envoler…
Qui sont les auteurs de ces recueils antiques ? Des anonymes, ou ces « gens de Salomon » qui ont transcrit les proverbes attribués à leur maître… Pourtant, ces auteurs anonymes ont initié un mouvement essentiel, en matière de mémoire.
Bien plus tard, les auteurs de recueils tel Trésor des sentences (1568) de Gabriel Meurier ou ceux de dictionnaires ont participé du même mouvement, en particulier lorsqu’ils ont choisi telle formulation exacte pour immortaliser tel proverbe « attesté » sous leur plume…
Jean Charles François Tuet qui répertorie « À l’impossible nul n’est tenu », en 1789,
Pierre-Marie Quitard qui consigne « Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois », en 1842.
À moins d’être spécialiste ou d’avoir le nez dans les dictionnaires, ces auteurs sont généralement presqu’aussi anonymes que les « gens de Salomon ». Ils sont néanmoins souvent les vrais inventeurs de la formule de proverbes qu’on utilise. Jusqu’à eux, le proverbe circulait sous d’autres formes que celles dont on se sert couramment…
Pour finir, revenons à une idée essentielle : les proverbes naissent d’une observation de l’Homme, et finalement d’une expérience…
Cette expérience peut être celle de la vie de l’homme du peuple ou celle de l’auteur qui observe, analyse et finalement formule. Quoi qu’il en soit :
L’homme a mis des mots sur les choses, les proverbes sur l’expérience.
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